Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/100

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tement au-dessus de l’appentis au fond de la cour, à moins que mon père ne veuille élever un second étage. Nous lui arrangerions ainsi une vie sans soucis, une vie indépendante. Mon désir de soutenir Lucien me donnera pour faire fortune un courage que je n’aurais pas s’il ne s’agissait que de moi ; mais il dépend de vous d’autoriser mon dévouement. Peut-être un jour ira-t-il à Paris, le seul théâtre où il puisse se produire, et où ses talents seront appréciés et rétribués. La vie de Paris est chère, et nous ne serons pas trop de trois pour l’y entretenir. D’ailleurs, à vous comme à votre mère, ne faudra-t-il pas un appui ? Chère Ève, épousez-moi par amour pour Lucien. Plus tard vous m’aimerez peut-être en voyant les efforts que je ferai pour le servir et pour vous rendre heureuse. Nous sommes tous deux également modestes dans nos goûts, il nous faudra peu de chose ; le bonheur de Lucien sera notre grande affaire, et son cœur sera le trésor où nous mettrons fortune, sentiments, sensations, tout !

— Les convenances nous séparent, dit Ève émue en voyant combien ce grand amour se faisait petit. Vous êtes riche et je suis pauvre. Il faut aimer beaucoup pour passer par-dessus une semblable difficulté.

— Vous ne m’aimez donc pas assez encore ? s’écria David atterré.

— Mais votre père s’opposerait peut-être…

— Bien, bien, répondit David, s’il n’y a que mon père à consulter, vous serez ma femme. Ève, ma chère Ève ! vous venez de me rendre la vie bien facile à porter en ce moment. J’avais, hélas ! le cœur bien lourd de sentiments que je ne pouvais ni ne savais exprimer. Dites-moi seulement que vous m’aimez un peu, je prendrai le courage nécessaire pour vous parler de tout le reste.

— En vérité, dit-elle, vous me rendez toute honteuse ; mais, puisque nous nous confions nos sentiments, je vous dirai que je n’ai jamais de ma vie pensé à un autre qu’à vous. J’ai vu en vous un de ces hommes auxquels une femme peut se trouver fière d’appartenir, et je n’osais espérer pour moi, pauvre ouvrière sans avenir, une si grande destinée.

— Assez, assez, dit-il en s’asseyant sur la traverse du barrage auprès duquel ils étaient revenus, car ils allaient et venaient comme des fous en parcourant le même espace.

— Qu’avez-vous ? lui dit-elle en exprimant pour la première fois cette inquiétude si gracieuse que les femmes éprouvent pour un être qui leur appartient.