Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/101

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Rien que de bon, dit-il. En apercevant toute une vie heureuse, l’esprit est comme ébloui, l’âme est accablée. Pourquoi suis-je le plus heureux ? dit-il avec une expression de mélancolie. Mais je le sais.

Ève regarda David d’un air coquet et douteur qui voulait une explication.

— Chère Ève, je reçois plus que je ne donne. Aussi vous aimerai-je toujours mieux que vous ne m’aimerez, parce que j’ai plus de raisons de vous aimer : vous êtes un ange et je suis un homme.

— Je ne suis pas si savante, répondit Ève en souriant. Je vous aime bien…

— Autant que vous aimez Lucien ? dit-il en l’interrompant.

— Assez pour être votre femme, pour me consacrer à vous et tâcher de ne vous donner aucune peine dans la vie, d’abord un peu pénible, que nous mènerons.

— Vous êtes-vous aperçue, chère Ève, que je vous ai aimée depuis le premier jour où je vous ai vue ?

— Quelle est la femme qui ne se sent pas aimée ? demanda-t-elle.

— Laissez-moi donc dissiper les scrupules que vous cause ma prétendue fortune. Je suis pauvre, ma chère Ève. Oui, mon père a pris plaisir à me ruiner, il a spéculé sur mon travail, il a fait comme beaucoup de prétendus bienfaiteurs avec leurs obligés. Si je deviens riche, ce sera par vous. Ceci n’est pas une parole de l’amant, mais une réflexion du penseur. Je dois vous faire connaître mes défauts, et ils sont énormes chez un homme obligé de faire sa fortune. Mon caractère, mes habitudes, les occupations qui me plaisent me rendent impropre à tout ce qui est commerce et spéculation, et cependant nous ne pouvons devenir riches que par l’exercice de quelque industrie. Si je suis capable de découvrir une mine d’or, je suis singulièrement inhabile à l’exploiter. Mais vous, qui, par amour pour votre frère, êtes descendue aux plus petits détails, qui avez le génie de l’économie, la patiente attention du vrai commerçant, vous récolterez la moisson que j’aurai semée. Notre situation, car depuis longtemps je me suis mis au sein de votre famille, m’oppresse si fort le cœur que j’ai consumé mes jours et mes nuits à chercher une occasion de fortune. Mes connaissances en chimie et l’observation des besoins du commerce m’ont mis sur la voie d’une découverte lucrative. Je ne puis vous en rien dire