Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/198

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contemplations de la nature qu’ils ont mission de reproduire. Ces hommes si forts contre leurs propres maux étaient tendres pour les douleurs de Lucien. Ils avaient compris son manque d’argent. Le Cénacle couronna donc les douces soirées de causeries, de profondes méditations, de poésies, de confidences, de courses à pleines ailes dans les champs de l’intelligence, dans l’avenir des nations, dans les domaines de l’histoire, par un trait qui prouve combien Lucien avait peu compris ses nouveaux amis.

— Lucien mon ami, lui dit Daniel, tu n’es pas venu dîner hier chez Flicoteaux, et nous savons pourquoi.

Lucien ne put retenir des larmes qui coulèrent sur ses joues.

— Tu as manqué de confiance en nous, lui dit Michel Chrestien, nous ferons une croix à la cheminée et quand nous serons à dix…

— Nous avons tous, dit Bianchon, trouvé quelque travail extraordinaire : moi j’ai gardé pour le compte de Desplein un riche malade ; d’Arthez a fait un article pour la Revue encyclopédique ; Chrestien a voulu aller chanter un soir dans les Champs-Élysées avec un mouchoir et quatre chandelles ; mais il a trouvé une brochure à faire pour un homme qui veut devenir un homme politique, et il lui a donné pour six cents francs de Machiavel ; Léon Giraud a emprunté cinquante francs à son libraire, Joseph a vendu des croquis, et Fulgence a fait donner sa pièce dimanche, il a eu salle pleine.

— Voilà deux cents francs, dit Daniel, accepte-les et qu’on ne t’y reprenne plus.

— Allons, ne va-t-il pas nous embrasser, comme si nous avions fait quelque chose d’extraordinaire ? dit Chrestien.

Pour faire comprendre quelles délices ressentait Lucien dans cette vivante encyclopédie d’esprits angéliques, de jeunes gens empreints des originalités diverses que chacun d’eux tirait de la science qu’il cultivait, il suffira de rapporter les réponses que Lucien reçut, le lendemain, à une lettre écrite à sa famille, chef-d’œuvre de sensibilité, de bon vouloir, un horrible cri que lui avait arraché sa détresse.


LETTRE DE DAVID SÉCHARD À LUCIEN.

« Mon cher Lucien, tu trouveras ci-joint un effet à quatre-vingt-dix jours et à ton ordre de deux cents francs. Tu pourras le négocier chez monsieur Métivier, marchand de papier, notre corres-