Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/197

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noble Pléiade. Quand, en 1832, ce dernier succomba, Horace Bianchon, Daniel d’Arthez, Léon Giraud, Joseph Bridau, Fulgence Ridal allèrent, malgré le péril de la démarche, retirer son corps à Saint-Merry, pour lui rendre les derniers devoirs à la face brûlante de la Politique. Ils accompagnèrent ces restes chéris jusqu’au cimetière du Père-Lachaise pendant la nuit. Horace Bianchon leva toutes les difficultés à ce sujet, et ne recula devant aucune ; il sollicita les ministres en leur confessant sa vieille amitié pour le fédéraliste expiré. Ce fut une scène touchante gravée dans la mémoire des amis peu nombreux qui assistèrent les cinq hommes célèbres. En vous promenant dans cet élégant cimetière, vous verrez un terrain acheté à perpétuité, où s’élève une tombe de gazon surmontée d’une croix en bois noir sur laquelle sont gravés en lettres rouges ces deux noms : Michel Chrestien. C’est le seul monument qui soit dans ce style. Les cinq amis ont pensé qu’il fallait rendre hommage à cet homme simple par cette simplicité.

Dans cette froide mansarde se réalisaient donc les plus beaux rêves du sentiment. Là, des frères tous également forts en différentes régions de la science, s’éclairaient mutuellement avec bonne foi, se disant tout, même leurs pensées mauvaises, tous d’une instruction immense et tous éprouvés au creuset de la misère. Une fois admis parmi ces êtres d’élite et pris pour un égal, Lucien y représenta la Poésie et la Beauté. Il y lut des sonnets qui furent admirés. On lui demandait un sonnet, comme il priait Michel Chrestien de lui chanter une chanson. Dans le désert de Paris, Lucien trouva donc une oasis rue des Quatre-Vents.

Au commencement du mois d’octobre, Lucien, après avoir employé le reste de son argent pour se procurer un peu de bois, resta sans ressources au milieu du plus ardent travail, celui du remaniement de son œuvre. Daniel d’Arthez, lui, brûlait des mottes, et supportait héroïquement la misère : il ne se plaignait point, il était rangé comme une vieille fille, et ressemblait à un avare, tant il avait de méthode. Ce courage excitait celui de Lucien qui, nouveau venu dans le Cénacle, éprouvait une invincible répugnance à parler de sa détresse. Un matin, il alla jusqu’à la rue du Coq pour vendre l’Archer de Charles IX à Doguereau, qu’il ne rencontra pas. Lucien ignorait combien les grands esprits ont d’indulgence. Chacun de ses amis concevait les faiblesses particulières aux hommes de poésie, les abattements qui suivent les efforts de l’âme surexcitée par les