Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/461

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tirée d’une place sur une autre. Ainsi, en prenant les trois effets à Lucien, Métivier était obligé, pour en toucher le montant, de les envoyer à messieurs Cointet frères, ses correspondants. De là une première perte pour Lucien, désignée sous le nom de commission pour change de place, et qui s’était traduite par un tant pour cent rabattu sur chaque effet, outre l’escompte. Les effets Séchard avaient donc passé dans la catégorie des affaires de Banque. Vous ne sauriez croire à quel point la qualité de banquier, jointe au titre auguste de créancier, change la condition du débiteur. Ainsi, en Banque (saisissez bien cette expression ?), dès qu’un effet transmis de la place de Paris à la place d’Angoulême est impayé, les banquiers se doivent à eux-mêmes de s’adresser ce que la loi nomme un Compte de Retour. Calembour à part, jamais les romanciers n’ont inventé de conte plus invraisemblable que celui-là ; car voici les ingénieuses plaisanteries à la Mascarille qu’un certain article du Code de Commerce autorise, et dont l’explication vous démontrera combien d’atrocités se cachent sous ce mot terrible : la Légalité !

Dès que maître Doublon eut fait enregistrer son protêt, il l’apporta lui-même à messieurs Cointet frères. L’huissier était en compte avec ces Loups-Cerviers d’Angoulême, et leur faisait un crédit de six mois que le grand Cointet menait à un an par la manière dont il le soldait, tout en disant de mois en mois, à ce sous-Loup-Cervier : — Doublon, vous faut-il de l’argent ? Ce n’est pas tout encore ! Doublon favorisait d’une remise cette puissante maison qui gagnait ainsi quelque chose sur chaque acte, un rien, une misère, un franc cinquante centimes sur un protêt !….. Le grand Cointet se mit à son bureau tranquillement, y prit un petit carré de papier timbré de trente-cinq centimes tout en causant avec Doublon de manière à savoir de lui des renseignements sur l’état vrai des commerçants.

— Eh ! bien, êtes-vous content du petit Gannerac ?…

— Il ne va pas mal. Dam ! un roulage…

— Ah ! le fait est qu’il a du tirage ! on m’a dit que sa femme lui causait beaucoup de dépenses…

— À lui ?… s’écria Doublon d’un air narquois.

Et le Loup-Cervier, qui venait d’achever de régler son papier, écrivit en ronde le sinistre intitulé sous lequel il dressa le compte suivant. (Sic !)