Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/503

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suivez mon fils sous le nom de Métivier, et vous voulez que je vous paye, voilà tout. Pas si bête, bourgeois !…

Les deux frères se regardèrent, mais ils se continrent.

— Nous ne sommes pas encore assez millionnaires pour nous amuser à faire l’escompte, répliqua le gros Cointet ; nous nous croirions assez heureux de pouvoir payer notre chiffon comptant, et nous faisons encore des billets à notre marchand.

— Il faut tenter une expérience en grand, répondit froidement le grand Cointet, car ce qui réussit dans une marmite échoue dans une fabrication entreprise sur une grande échelle. Délivrez votre fils.

— Oui, mais mon fils en liberté m’admettra-t-il comme son associé ? demanda le vieux Séchard.

— Ceci ne nous regarde pas, dit le gros Cointet. Est-ce que vous croyez, mon bonhomme, que quand vous aurez donné dix mille francs à votre fils, tout sera dit ? Un brevet d’invention coûte deux mille francs, il faudra faire des voyages à Paris ; puis, avant de se lancer dans des avances, il est prudent de fabriquer, comme dit mon frère, mille rames, risquer des cuvées entières afin de se rendre compte. Voyez-vous, il n’y a rien dont il faille plus se défier que des inventeurs.

— Moi, dit le grand Cointet, j’aime le pain tout cuit.

Le vieillard passa la nuit à ruminer ce dilemme : Si je paye les dettes de David, il est libre, et une fois libre il n’a pas besoin de m’associer à sa fortune. Il sait bien que je l’ai roulé dans l’affaire de notre première association ; il n’en voudra pas faire une seconde. Mon intérêt serait donc de le tenir en prison, malheureux.

Les Cointet connaissaient assez le père Séchard pour savoir qu’ils chasseraient de compagnie.

Donc ces trois hommes disaient : — Pour faire une société basée sur le secret, il faut des expériences ; et, pour faire ces expériences, il faut libérer David Séchard. David libéré nous échappe. Chacun avait de plus une petite arrière-pensée. Petit-Claud se disait : — Après mon mariage, je serai franc du collier avec les Cointet ; mais jusque-là je les tiens. Le grand Cointet se disait : — J’aimerais mieux avoir David sous clef, je serais le maître. Le vieux Séchard se disait : — Si je paye ses dettes, mon fils me salue avec un remercîment. Ève, attaquée, menacée par le vigneron d’être chassée de la maison, ne voulait ni révéler l’asile de son mari, ni même lui proposer d’accepter un sauf-conduit. Elle n’était pas certaine de