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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Pour la première et unique fois de sa vie, Minoret, enivré par la colère et poussé à bout par les questions réitérées de sa femme, la battit si bien qu’il fut obligé, quand elle tomba meurtrie, de la prendre dans ses bras, et, tout honteux, de la coucher lui-même. Il fit une petite maladie : le médecin fut obligé de le saigner deux fois. Quand il fut sur pied, chacun, dans un temps donné, remarqua des changements chez lui. Minoret se promenait seul, et souvent il allait par les rues comme un homme inquiet. Il paraissait distrait en écoutant, lui qui n’avait jamais eu deux idées dans la tête. Enfin, un soir, il aborda dans la Grand’rue le juge de paix, qui, sans doute, venait chercher Ursule pour la conduire chez madame de Portenduère où la partie de whist avait recommencé.

— Monsieur Bongrand, j’ai quelque chose d’assez important à dire à ma cousine, fit-il en prenant le juge par le bras, et je suis assez aise que vous y soyez, vous pourrez lui servir de conseil.

Ils trouvèrent Ursule en train d’étudier, elle se leva d’un air imposant et froid en voyant Minoret.

— Mon enfant, monsieur Minoret veut vous parler d’affaires, dit le juge de paix. Par parenthèse, n’oubliez pas de me donner votre inscription de rente ; je vais à Paris, je toucherai votre semestre et celui de la Bougival.

— Ma cousine, dit Minoret, notre oncle vous avait accoutumée à plus d’aisance que vous n’en avez.

— On peut se trouver très-heureux avec peu d’argent, dit-elle.

— Je croyais que l’argent faciliterait votre bonheur, reprit Minoret, et je venais vous en offrir, par respect pour la mémoire de mon oncle.

— Vous aviez une manière naturelle de la respecter, dit sévèrement Ursule. Vous pouviez laisser sa maison telle qu’elle était et me la vendre, car vous ne l’avez mise à si haut prix que dans l’espoir d’y trouver des trésors…

— Enfin, dit Minoret évidemment oppressé, si vous aviez douze mille livres de rente, vous seriez en position de vous marier plus avantageusement.

— Je ne les ai pas.

— Mais si je vous les donnais, à la condition d’acheter une terre en Bretagne, dans le pays de madame de Portenduère qui consentirait alors à votre mariage avec son fils ?…

— Monsieur Minoret, dit Ursule, je n’ai point de droits à une