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URSULE MIROUET.

somme si considérable, et je ne saurais l’accepter de vous. Nous sommes très peu parents et encore moins amis. J’ai trop subi déjà les malheurs de la calomnie pour vouloir donner lieu à la médisance. Qu’ai-je fait pour mériter cet argent ? Sur quoi vous fonderiez-vous pour me faire un tel présent ? Ces questions, que j’ai le droit de vous adresser, chacun y répondrait à sa manière, on y verrait une réparation de quelque dommage, et je ne veux point en avoir reçu. Votre oncle ne m’a point élevée dans des sentiments ignobles. On ne doit accepter que de ses amis : je ne saurais avoir d’affection pour vous, et je serais nécessairement ingrate, je ne veux pas m’exposer à manquer de reconnaissance.

— Vous refusez ? s’écria le colosse à qui jamais l’idée ne serait venue en tête qu’on pouvait refuser une fortune.

— Je refuse, répéta Ursule.

— Mais à quel titre offririez-vous une pareille fortune à mademoiselle ? demanda l’ancien avoué qui regarda fixement Minoret. Vous avez une idée, avez-vous une idée ?

— Eh ! bien, l’idée de la renvoyer de Nemours afin que mon fils me laisse tranquille, il est amoureux d’elle et veut l’épouser.

— Eh ! bien, nous verrons cela, répondit le juge de paix en raffermissant ses lunettes, laissez-nous le temps de réfléchir.

Il reconduisit Minoret jusque chez lui, tout en approuvant les sollicitudes que lui inspirait l’avenir de Désiré, blâmant un peu la précipitation d’Ursule et promettant de lui faire entendre raison. Aussitôt que Minoret fut rentré, Bongrand alla chez le maître de poste, lui emprunta son cabriolet et son cheval, courut jusqu’à Fontainebleau, demanda le substitut et apprit qu’il devait être chez le sous-préfet en soirée. Le juge de paix ravi s’y présenta. Désiré faisait une partie de whist avec la femme du procureur du roi, la femme du sous-préfet et le colonel du régiment en garnison.

— Je viens vous apprendre une heureuse nouvelle, dit monsieur Bongrand à Désiré : vous aimez votre cousine Ursule Mirouët, et votre père ne s’oppose plus à votre mariage.

— J’aime Ursule Mirouët ? s’écria Désiré en riant. Où prenez-vous Ursule Mirouët ? Je me souviens d’avoir vu quelquefois chez feu Minoret, mon archi-grand-oncle, cette petite fille, qui certes est d’une grande beauté ; mais elle est d’une dévotion outrée ; et si j’ai, comme tout le monde, rendu justice à ses charmes, je n’ai jamais eu la tête troublée pour cette blonde un peu fadasse, dit-il en sou-