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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

sa maison de campagne à trois lieues de Paris, un soi-disant parc où il plante des statues en plâtre colorié, où il dispose des jets d’eau qui ressemblent à un bout de fil et où il dépense des sommes folles ; tel autre rêve les commandements supérieurs de la garde nationale. Provins, ce paradis terrestre, excitait chez les deux merciers le fanatisme que toutes les jolies villes de France inspirent à leurs habitants. Disons-le à la gloire de la Champagne : cet amour est légitime. Provins, une des plus charmantes villes de France, rivalise le Frangistan et la vallée de Cachemire ; non seulement elle contient la poésie de Saadi, l’Homère de la Perse, mais encore elle offre des vertus pharmaceutiques à la Science médicale. Des Croisés rapportèrent les roses de Jéricho dans cette délicieuse vallée, où, par hasard, elles prirent des qualités nouvelles, sans rien perdre de leurs couleurs. Provins n’est pas seulement la Perse française, elle pourrait encore être Bade, Aix, Bath : elle a des eaux ! Voici le paysage revu d’année en année, qui, de temps en temps, apparaissait aux deux merciers sur le pavé boueux de la rue Saint-Denis.

Après avoir traversé les plaines grises qui se trouvent entre la Ferté-Gaucher et Provins, vrai désert, mais productif, un désert de froment, vous parvenez à une colline. Tout à coup vous voyez à vos pieds une ville arrosée par deux rivières : au bas du rocher s’étale une vallée verte, pleine de lignes heureuses, d’horizons fuyants. Si vous venez de Paris, vous prenez Provins en long, vous avez cette éternelle grande route de France, qui passe au bas de la côte en la tranchant, et douée de son aveugle, de ses mendiants, lesquels vous accompagnent de leurs voix lamentables quand vous vous avisez d’examiner ce pittoresque pays inattendu. Si vous venez de Troyes, vous entrez par le pays plat. Le château, la vieille ville et ses anciens remparts sont étagés sur la colline. La jeune ville s’étale en bas. Il y a le haut et le bas Provins : d’abord, une ville aérée, à rues rapides, à beaux aspects, environnée de chemins creux, ravinés, meublés de noyers, et qui criblent de leurs vastes ornières la vive arête de la colline ; ville silencieuse, proprette, solennelle, dominée par les ruines imposantes du château ; puis une ville à moulins, arrosée par la Voulzie et le Durtain, deux rivières de Brie, menues, lentes et profondes ; une ville d’auberges, de commerce, de bourgeois retirés, sillonnée par les diligences, par les calèches et le roulage. Ces deux villes ou cette ville, avec ses souvenirs historiques, la mélancolie de ses ruines, la gaieté de