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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

parquet sur lequel de nouveaux venus devaient se bien tenir pour n’y rien heurter ou pour n’y pas glisser. En supposant que la restauration de leur maison coûtât trente mille francs, le frère et la sœur réunissaient dix mille livres de rente. Ils se crurent très riches, assommèrent cette société de leur luxe futur, et laissèrent prendre la mesure de leur petitesse, de leur ignorance crasse, de leur sotte jalousie. Le soir où ils furent présentés à la belle madame Tiphaine, qui déjà les avait observés chez madame Garceland, chez sa belle-sœur Galardon et chez madame Julliard la mère, la reine de la ville dit confidentiellement à Julliard fils, qui resta quelques instants après tout le monde en tête-à-tête avec elle et le Président : — Vous êtes donc tous bien coiffés de ces Rogron ?

— Moi, dit l’Amadis de Provins, ils ennuient ma mère, ils excèdent ma femme ; et quand mademoiselle Sylvie a été mise en apprentissage, il y a trente ans, chez mon père, il ne pouvait déjà pas la supporter.

— Mais j’ai fort envie, dit la jolie Présidente en mettant son petit pied sur la barre de son garde-cendres, de faire comprendre que mon salon n’est pas une auberge.

Julliard leva les yeux au plafond comme pour dire : — Mon Dieu ! combien d’esprit, quelle finesse !

— Je veux que ma société soit choisie ; et si j’admettais des Rogron, certes elle ne le serait pas.

— Ils sont sans cœur, sans esprit ni manières, dit le Président. Quand, après avoir vendu du fil pendant vingt ans, comme l’a fait ma sœur, par exemple…

— Mon ami, votre sœur ne serait déplacée dans aucun salon, dit en parenthèse madame Tiphaine.

— Si l’on a la bêtise de demeurer encore mercier, dit le Président en continuant, si l’on ne se décrasse pas, si l’on prend les comtes de Champagne pour des mémoires de vin fourni, comme ces Rogron l’ont fait ce soir, on doit rester chez soi.

— Ils sont puants, dit Julliard. Il semble qu’il n’y ait qu’une maison dans Provins. Ils veulent nous écraser tous. Après tout, à peine ont-ils de quoi vivre.

— S’il n’y avait que le frère, reprit madame Tiphaine, on le souffrirait, il n’est pas gênant. En lui donnant un casse-tête chinois, il resterait dans un coin bien tranquillement. Il en aurait pour tout un hiver à trouver une combinaison. Mais mademoiselle