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Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/446

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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

son frère descendant l’allée et regardant les désastres produits par la gelée sur ses dahlias.

— Eh ! bien, Sylvie, à quoi penses-tu donc là ? j’ai cru que tu regardais des poissons ! quelquefois il y en a qui sautent hors de l’eau.

— Non, dit-elle.

— Eh ! bien, comment as-tu dormi ? Et il se mit à lui raconter ses rêves de la nuit. Ne me trouves-tu pas le teint mâchuré ? Autre mot du vocabulaire Rogron.

Depuis que Rogron aimait, ne profanons pas ce mot, désirait mademoiselle de Chargebœuf, il s’inquiétait beaucoup de son air et de lui-même. Pierrette descendit en ce moment le perron, et annonça de loin que le déjeuner était prêt. En voyant sa cousine, le teint de Sylvie se plaqua de vert et jaunit : toute sa bile se mit en mouvement. Elle regarda le corridor, et trouva que Pierrette aurait dû l’avoir frotté.

— Je frotterai si vous le voulez, répondit cet ange en ignorant le danger auquel ce travail expose une jeune fille.

La salle à manger était irréprochablement arrangée. Sylvie s’assit et affecta pendant tout le déjeuner d’avoir besoin de choses auxquelles elle n’aurait pas songé dans un état calme, et qu’elle demanda pour faire lever Pierrette, en saisissant le moment où la pauvre petite se remettait à manger. Mais une tracasserie ne suffisait pas, elle cherchait un sujet de reproche, et elle se colérait intérieurement de n’en pas trouver. S’il y avait eu des œufs frais, elle aurait eu certes à se plaindre de la cuisson du sien. Elle répondait à peine aux sottes questions de son frère, et cependant elle ne regardait que lui. Ses yeux évitaient Pierrette. Pierrette était éminemment sensible à ce manége. Pierrette apporta le café de sa cousine comme celui de son cousin, dans un grand gobelet d’argent où elle faisait chauffer le lait mélangé de crème au bain-marie. Le frère et la sœur y mêlaient eux-mêmes le café noir fait par Sylvie, en doses convenables. Quand elle eut minutieusement préparé sa jouissance, elle aperçut une légère poussière de café ; elle la saisit avec affectation dans le tourbillon jaune, la regarda, se pencha pour la mieux voir. L’orage éclata.

— Qu’est-ce que tu as ? dit Rogron.

— J’ai… que mademoiselle a mis de la cendre dans mon café. Comme c’est agréable de prendre du café à la cendre ?… Hé ! ce