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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

n’est pas étonnant : on ne fait jamais bien deux choses à la fois. Elle pensait bien au café ! Un merle aurait pu voler par sa cuisine, elle n’y aurait pas pris garde ce matin ! comment aurait-elle pu voir voler la cendre ? Et puis le café de sa cousine ! Ah ! cela lui est bien égal.

Elle parla sur ce ton pendant qu’elle mettait sur le bord de l’assiette la poudre de café passée à travers le filtre, et quelques grains de sucre qui ne fondaient pas.

— Mais, ma cousine, c’est du café, dit Pierrette.

— Ah ! c’est moi qui mens ? s’écria Sylvie en regardant Pierrette et la foudroyant par une effroyable lueur que son œil dégageait en colère.

Ces organisations que la passion n’a point ravagées ont à leur service une grande abondance de fluide vital. Ce phénomène de l’excessive clarté de l’œil dans les moments de colère s’était d’autant mieux établi chez mademoiselle Rogron, que jadis, dans sa boutique, elle avait eu lieu d’user de la puissance de son regard, en ouvrant démesurément ses yeux, toujours pour imprimer une terreur salutaire à ses inférieurs.

— Je vous conseille de me donner des démentis, reprit-elle, vous qui mériteriez de sortir de table et d’aller manger seule à la cuisine.

— Qu’avez-vous donc toutes deux ? s’écria Rogron, vous êtes comme des crins, ce matin.

— Mademoiselle sait ce que j’ai contre elle. Je lui laisse le temps de prendre une décision avant de t’en parler, car j’aurai pour elle plus de bontés qu’elle n’en mérite !

Pierrette regardait sur la place, à travers les vitres, afin d’éviter de voir les yeux de sa cousine qui l’effrayaient.

— Elle n’a pas plus l’air de m’écouter que si je parlais à ce sucrier ! Elle a cependant l’oreille fine, elle cause du haut d’une maison et répond à quelqu’un qui se trouve en bas… Elle est d’une perversité, ta pupille ! d’une perversité sans nom, et tu ne dois t’attendre à rien de bon d’elle, entends-tu, Rogron ?

— Qu’a-t-elle fait de si grave ? demanda le frère à la sœur.

— À son âge ! c’est commencer de bonne heure, s’écria la vieille fille enragée.

Pierrette se leva pour desservir afin d’avoir une contenance, elle ne savait comment se tenir. Quoique ce langage ne fût pas nou-