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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Sylvie ne voulut pas se mettre alors en jeu, elle se crut très-fine en faisant parler son frère.

— Mon frère, dit-elle, avait eu l’idée de vous marier.

— Mais votre frère ne saurait avoir une idée si incongrue. Il y a quelques jours, pour savoir son secret, je lui ai dit que j’aimais Bathilde, il est devenu blanc comme votre collerette.

— Il aime Bathilde, dit Sylvie.

— Comme un fou ! Et certes Bathilde n’en veut qu’à son argent (Attrape, Vinet ! pensa le colonel). Comment alors aurait-il parlé de Pierrette ? Non, Sylvie, dit-il en lui prenant la main et la lui serrant d’une certaine façon, puisque vous m’avez mis sur ce chapitre… Il se rapprocha de Sylvie. Eh ! bien… (il lui baisa la main, il était colonel de cavalerie, il avait donné des preuves de courage), sachez-le, je ne veux pas avoir d’autre femme que vous. Quoique ce mariage ait l’air d’être un mariage de convenance, de mon côté, je me sens de l’affection pour vous.

— Mais c’est moi qui voulais vous marier à Pierrette. Et si je lui donnais ma fortune… Hein ! colonel ?

— Mais je ne veux pas être malheureux dans mon intérieur, et dans dix ans y voir un jeune freluquet, comme Julliard, tournant autour de ma femme, et lui adressant des vers dans le journal. Je suis un peu trop homme sur ce point ! Je ne ferai jamais un mariage disproportionné sous le rapport de l’âge.

— Eh ! bien, colonel, nous causerons de tout cela sérieusement, dit Sylvie en lui jetant un regard qu’elle crut plein d’amour et qui ressemblait assez à celui d’une ogresse. Ses lèvres froides et d’un violet cru se tirèrent sur ses dents jaunes, et elle croyait sourire.

— Me voilà, dit Rogron en emmenant le colonel qui salua courtoisement la vieille fille.

Gouraud résolut de presser son mariage avec Sylvie et de devenir ainsi maître au logis, en se promettant de se débarrasser, par l’influence qu’il acquerrait sur Sylvie pendant la lune de miel, de Bathilde et de Céleste Habert. Aussi pendant cette promenade dit-il à Rogron qu’il s’était amusé de lui l’autre jour : il n’avait aucune prétention sur le cœur de Bathilde, il n’était pas assez riche pour épouser une femme sans dot ; puis il lui confia son projet, il avait choisi sa sœur depuis longtemps, à cause de ses bonnes qualités, il aspirait enfin à l’honneur de devenir son beau-frère.

— Ah ! colonel ! ah ! baron ! s’il ne faut que mon consentement,