Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/452

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
449
LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

ce sera fait dans les délais voulus par la loi, s’écria Rogron heureux de se voir débarrassé de ce terrible rival.

Sylvie passa toute sa matinée dans son appartement à examiner s’il y avait place pour un ménage. Elle résolut de bâtir pour son frère un second étage, et de faire arranger convenablement le premier pour elle et son mari ; mais elle se promit aussi, selon la fantaisie de toute vieille fille, de soumettre le colonel à quelques épreuves pour juger de son cœur et de ses mœurs, avant de se décider. Elle conservait des doutes et voulait être sûre que Pierrette n’avait aucune accointance avec le colonel.

Pierrette descendit à l’heure du dîner pour mettre le couvert. Sylvie avait été obligée de faire la cuisine, et avait taché sa robe en s’écriant : — Maudite Pierrette ! Il était évident que si Pierrette avait préparé le dîner, Sylvie n’eût pas attrapé cette tache de graisse sur sa robe de soie.

— Vous voilà, la belle picheline ? Vous êtes comme le chien du maréchal que le bruit des casseroles réveille et qui dort sous la forge ! Ah ! vous voulez qu’on vous croie malade, petite menteuse !

Cette idée : Vous ne m’avez pas avoué la vérité sur ce qui s’est passé ce matin sur la place, donc vous mentez dans tout ce que vous dites, fut comme un marteau avec lequel Sylvie allait frapper sans relâche sur le cœur et sur la tête de Pierrette.

Au grand étonnement de Pierrette, Sylvie l’envoya s’habiller pour la soirée, après le dîner. L’imagination la plus alerte est encore au-dessous de l’activité que donne le soupçon à l’esprit d’une vieille fille. Dans ce cas, la vieille fille l’emporte sur les politiques, les avoués et les notaires, sur les escompteurs et les avares. Sylvie se promit de consulter Vinet, après avoir tout examiné autour d’elle. Elle voulut avoir Pierrette auprès d’elle afin de savoir par la contenance de la petite si le colonel avait dit vrai. Mesdames de Chargebœuf vinrent les premières. D’après le conseil de son cousin Vinet, Bathilde avait redoublé d’élégance. Elle était vêtue d’une délicieuse robe bleue en velours de coton, toujours le fichu clair, des grappes de raisins en grenat et or aux oreilles, les cheveux en ringlet, la jeannette astucieuse, de petits souliers en satin noir, des bas de soie gris, et des gants de Suède ; puis des airs de reine et des coquetteries de jeune fille à prendre tous les Rogron de la rivière. La mère, calme et digne, conservait comme sa fille une certaine