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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

nous serviront. Votre misère comme la mienne vous aura donné sans doute la mesure de ce que valent les hommes : il faut se servir d’eux comme on se sert des chevaux de poste. Un homme ou une femme nous amène de telle à telle étape.

Vinet avait fait de Bathilde une petite Catherine de Médicis. Il laissait sa femme au logis heureuse avec ses deux enfants, et il accompagnait toujours mesdames de Chargebœuf chez les Rogron. Il arriva dans toute sa gloire de tribun champenois. Il avait alors de jolies besicles à branches d’or, un gilet de soie, une cravate blanche, un pantalon noir, des bottes fines et un habit noir fait à Paris, une montre d’or, une chaîne. Au lieu de l’ancien Vinet pâle et maigre, hargneux et sombre, il montrait dans le Vinet actuel une tenue d’homme politique ; il marchait, sûr de sa fortune, avec la sécurité particulière à l’homme du Palais qui connaît les cavernes du Droit. Sa petite tête rusée était si bien peignée, son menton bien rasé lui donnait un air si mignard quoique froid, qu’il paraissait agréable dans le genre de Robespierre. Certes, il pouvait être un délicieux Procureur-Général à l’éloquence élastique, dangereuse et meurtrière, ou un orateur d’une finesse à la Benjamin Constant. L’aigreur et la haine qui l’animaient naguère avaient tourné en une douceur perfide. Le poison s’était changé en médecine.

— Bonjour, ma chère, comment allez-vous ? dit madame de Chargebœuf à Sylvie.

Bathilde alla droit à la cheminée, ôta son chapeau, se mira dans la glace et mit son joli pied sur la barre du garde-cendre pour le montrer à Rogron.

— Qu’avez-vous donc, monsieur ? lui dit-elle en le regardant, vous ne me saluez pas ? Ah ! bien, on mettra pour vous des robes de velours…

Elle coupa Pierrette pour aller porter sur un fauteuil son chapeau que la petite fille lui prit des mains et qu’elle lui laissa prendre comme si la Bretonne était une femme de chambre. Les hommes passent pour être bien féroces et les tigres aussi ; mais ni les tigres, ni les vipères, ni les diplomates, ni les gens de justice, ni les bourreaux, ni les rois ne peuvent, dans leurs plus grandes atrocités, approcher des cruautés douces, des douceurs empoisonnées, des mépris sauvages des demoiselles entre elles quand les unes se croient supérieures aux autres en naissance, en fortune, en grâce, et qu’il s’agit de mariage, de préséance, enfin des mille rivalités de femme.