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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Elle affectait de toujours très-bien traiter Pierrette. Cette infâme tromperie irritait la loyale Bretonne et lui faisait mépriser sa cousine. Pierrette prit sa broderie ; mais, en tirant ses points, elle continuait à regarder dans le jeu de Gouraud. Gouraud n’avait pas l’air de savoir qu’il y eût une petite fille à côté de lui. Sylvie l’observait et commençait à trouver cette indifférence excessivement suspecte. Il y eut un moment dans la soirée où la vieille fille entreprit une grande Misère en cœur, le panier était plein de fiches et contenait en outre vingt-sept sous. Les Cournant et Néraud étaient venus. Le vieux Juge-suppléant, Desfondrilles, à qui le Ministère de la Justice trouvait la capacité d’un juge en le chargeant des fonctions de Juge-d’Instruction, mais qui n’avait jamais assez de talent dès qu’il s’agissait d’être juge en pied, et qui, depuis deux mois, abandonnait le parti des Tiphaine et se tournait vers le parti Vinet, se tenait devant la cheminée, le dos au feu, les basques de son habit relevées. Il regardait ce magnifique salon où brillait mademoiselle de Chargebœuf, car il semblait que cette décoration rouge eût été faite exprès pour rehausser les beautés de cette magnifique personne. Le silence régnait, Pierrette regardait jouer la Misère, et l’attention de Sylvie avait été détournée par l’intérêt du coup.

— Jouez là, dit Pierrette au colonel en lui indiquant cœur.

Le colonel entame une séquence de cœur ; les cœurs étaient entre Sylvie et lui ; le colonel atteint l’as, quoiqu’il fût gardé chez Sylvie par cinq petites cartes.

— Le coup n’est pas loyal, Pierrette a vu mon jeu, et le colonel s’est laissé conseiller par elle.

— Mais, mademoiselle, dit Céleste, le jeu du colonel était de continuer cœur, puisqu’il vous en trouvait !

Cette phrase fit sourire monsieur Desfondrilles, homme fin et qui avait fini par s’amuser de tous les intérêts en jeu dans Provins, où il jouait le rôle de Rigaudin de la Maison en loterie de Picard.

— C’est le jeu du colonel, dit Cournant sans savoir de quoi il s’agissait.

Sylvie jeta sur mademoiselle Habert un de ces regards de vieille fille à vieille fille, atroce et doucereux.

— Pierrette, vous avez vu mon jeu, dit Sylvie en fixant ses yeux sur sa cousine.