Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/458

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
455
LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

— Non, ma cousine.

— Je vous regardais tous, dit le juge archéologue, je puis certifier que la petite n’a vu que le colonel.

— Bah ! les petites filles, dit Gouraud épouvanté, savent joliment couler leurs yeux en douceur.

— Ah ! fit Sylvie.

— Oui, reprit Gouraud, elle a pu voir dans votre jeu pour vous jouer une malice. N’est-ce pas, ma petite belle ?

— Non, dit la loyale Bretonne, j’en suis incapable, et je me serais dans ce cas intéressée au jeu de ma cousine.

— Vous savez bien que vous êtes une menteuse, et de plus une petite sotte, dit Sylvie. Comment peut-on, depuis ce qui s’est passé ce matin, ajouter la moindre foi à vos paroles ? Vous êtes une…

Pierrette ne laissa pas sa cousine achever en sa présence ce qu’elle allait dire. En devinant un torrent d’injures, elle se leva, sortit sans lumière et monta chez elle. Sylvie devint pâle de rage et dit entre ses dents : — Elle me le payera.

— Payez-vous la Misère ? dit madame de Chargebœuf.

En ce moment la pauvre Pierrette se cogna le front à la porte du corridor que le juge avait laissée ouverte.

— Bon, c’est bien fait ! s’écria Sylvie.

— Que lui arrive-t-il ? demanda Desfondrilles.

— Rien qu’elle ne mérite, répondit Sylvie.

— Elle a reçu quelque mauvais coup, dit mademoiselle Habert.

Sylvie essaya de ne pas payer sa Misère en se levant pour aller voir ce qu’avait fait Pierrette, mais madame de Chargebœuf l’arrêta.

— Payez-nous d’abord, lui dit-elle en riant, car vous ne vous souviendriez plus de rien en revenant.

Cette proposition, fondée sur la mauvaise foi que l’ex-mercière mettait dans ses dettes de jeu ou dans ses chicanes, obtint l’assentiment général. Sylvie se rassit, ne pensa plus à Pierrette, et cette indifférence n’étonna personne. Pendant toute la soirée, Sylvie eut une préoccupation constante. Quand le boston fut fini, vers neuf heures et demie, elle se plongea dans une bergère au coin de sa cheminée et ne se leva que pour les salutations et les adieux. Le colonel la mettait à la torture, elle ne savait plus que penser de lui.

— Les hommes sont si faux ! dit-elle en s’endormant.

Pierrette s’était donné un coup affreux dans le champ de la porte