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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

rette. Elle est bien malade, reprit-il en approchant une lumière du lit. Ah ! nous la sauverons difficilement, dit-il après avoir vu la face. Elle a dû bien souffrir, et je ne comprends pas comment on ne l’a pas soignée.

— Mon intention, dit la grand’mère, est de me plaindre à la Justice. Des gens qui m’ont demandé ma petite-fille par une lettre, en se disant riches de douze mille livres de rentes, avaient-ils le droit d’en faire leur cuisinière, de lui faire faire des services au-dessus de ses forces ?

— Ils n’ont donc pas voulu voir la plus visible des maladies auxquelles les jeunes filles sont parfois sujettes et qui exigeait les plus grands soins ? s’écria monsieur Martener.

Pierrette fut réveillée et par la lumière que madame Frappier tenait pour bien éclairer le visage et par les horribles souffrances que la réaction morale de sa lutte lui causait à la tête.

— Ah ! monsieur Martener, je suis bien mal, dit-elle de sa jolie voix.

— D’où souffrez-vous, ma petite amie ? dit le médecin.

— Là, fit-elle en montrant le haut de sa tête au-dessus de l’oreille gauche.

— Il y a un dépôt ! s’écria le médecin après avoir pendant longtemps palpé la tête et questionné Pierrette sur ses souffrances. Il faut tout nous dire, mon enfant, pour que nous puissions vous guérir. Pourquoi votre main est-elle ainsi ? ce n’est pas vous qui vous êtes fait de semblables blessures.

Pierrette raconta naïvement son combat avec sa cousine Sylvie.

— Faites-la causer, dit le médecin à la grand’mère, et sachez bien tout. J’attendrai l’arrivée du médecin de Paris, et nous nous adjoindrons le chirurgien en chef de l’hôpital pour consulter : tout ceci me paraît bien grave. Je vais vous faire envoyer une potion calmante que vous donnerez à mademoiselle pour qu’elle dorme, elle a besoin de sommeil.

Restée seule avec sa petite-fille, la vieille Bretonne se fit tout révéler en usant de son ascendant sur elle, en lui apprenant qu’elle était assez riche pour eux trois, et lui promettant que Brigaut resterait avec elles. La pauvre enfant confessa son martyre en ne devinant pas à quel procès elle allait donner lieu. Les monstruosités de ces deux êtres sans affection et qui ne savaient rien de la Famille découvraient à la vieille femme des mondes de douleur aussi loin de sa