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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Mais Jésus est apparu aux apôtres après sa mort, reprit le curé. L’Église doit avoir foi dans les apparitions de Notre Sauveur. Quant aux miracles, nous n’en manquons pas, dit l’abbé Chaperon en souriant : voulez-vous connaître le plus récent ? il a eu lieu pendant le dix-huitième siècle.

— Bah !

— Oui, le bienheureux Marie-Alphonse de Liguori a su bien loin de Rome la mort du pape, au moment où le Saint-Père expirait, et il y a de nombreux témoins de ce miracle. Le saint évêque, entré en extase, entendit les dernières paroles du souverain pontife et les répéta devant plusieurs personnes. Le courrier chargé d’annoncer l’événement ne vint que trente heures après…

— Jésuite ! répondit le vieux Minoret en plaisantant, je ne vous demande pas de preuves, je vous demande si vous y croyez.

— Je crois que l’apparition dépend beaucoup de celui qui la voit, dit le curé continuant à plaisanter l’incrédule.

— Mon ami, je ne vous tends pas de piége, que croyez-vous sur ceci ?

— Je crois la puissance de Dieu infinie, dit l’abbé.

— Quand je serai mort, si je me réconcilie avec Dieu, je le prierai de me laisser vous apparaître, dit le docteur en riant.

— C’est précisément la convention faite entre Cardan et son ami, répondit le curé.

— Ursule, dit Minoret, si jamais un danger te menaçait, appelle-moi, je viendrai.

— Vous venez de dire en un seul mot la touchante élégie intitulée Néère, d’André Chénier, répondit le curé. Mais les poètes ne sont grands que parce qu’ils savent revêtir les faits ou les sentiments d’images éternellement vivantes.

— Pourquoi parlez-vous de votre mort, mon cher parrain ? dit d’un ton douloureux la jeune fille ; nous ne mourrons pas, nous autres chrétiens, notre tombe est le berceau de notre âme.

— Enfin, dit le docteur en souriant, il faut bien s’en aller de ce monde, et quand je n’y serai plus, tu seras bien étonnée de ta fortune.

— Quand vous ne serez plus, mon bon ami, ma seule consolation sera de vous consacrer ma vie.

— À moi, mort ?

— Oui. Toutes les bonnes œuvres que je pourrai faire seront