Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/77

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
74
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

un regard de ses petits yeux malicieux. Il allait ajouter : J’ai de quoi le perdre ! Mais il se retint. — Je suis tout à fait de l’avis de Dionis, dit-il à haute voix.

— Et moi aussi, s’écria Zélie qui cependant soupçonnait déjà le notaire d’une collusion d’intérêts avec le greffier.

— Ma femme a voté ! dit le maître de poste en humant un petit verre, quoique déjà sa face fût violacée par la digestion du déjeuner et par une notable absorption de liquides.

— C’est très-bien, dit le percepteur.

— J’irai donc après le dîner ? reprit Dionis.

— Si monsieur Dionis a raison, dit madame Crémière à madame Massin, il faut aller chez notre oncle comme autrefois, en soirée tous les dimanches, et faire tout ce que vient de nous dire monsieur Dionis.

— Oui, pour être reçus comme nous l’étions ! s’écria Zélie. Après tout, nous avons plus de quarante bonnes mille livres de rentes, et il a refusé toutes nos invitations ; nous le valons bien. Si je ne sais pas faire des ordonnances, je sais mener ma barque, moi !

— Comme je suis loin d’avoir quarante mille livres de rentes, dit madame Massin un peu piquée, je ne me soucie pas d’en perdre dix mille !

— Nous sommes ses nièces, nous le soignerons : nous y verrons clair, dit madame Crémière, et vous nous en saurez gré quelque jour, cousine.

— Ménagez bien Ursule, le vieux bonhomme de Jordy lui a laissé ses économies ! fit le notaire en levant son index droit à la hauteur de sa lèvre.

— Je vais me mettre sur mon cinquante et un, s’écria Désiré.

— Vous avez été aussi fort que Desroches, le plus fort des avoués de Paris, dit Goupil à son patron en sortant de la Poste.

— Et ils discutent nos honoraires ! répondit le notaire en souriant avec amertume.

Les héritiers qui reconduisaient Dionis et son premier clerc se trouvèrent le visage assez allumé par le déjeuner, tous, à la sortie des vêpres. Selon les prévisions du notaire, l’abbé Chaperon donnait le bras à la vieille madame de Portenduère.

— Elle l’a traîné à vêpres, s’écria madame Massin en montrant à madame Crémière Ursule et son parrain qui sortaient de l’église.