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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

en vingt-deux pages. Après avoir pleuré pendant toute une journée, madame de Portenduère écrivit d’abord à son fils, en lui promettant de le tirer de prison ; puis aux comtes de Portenduère et de Kergarouët.

Les lettres que le curé venait de lire et que la pauvre mère tenait à la main, humides de ses larmes, étaient arrivées le matin même et lui avaient brisé le cœur.


à madame de portenduère.


Paris, septembre 1829.

« Madame,

Vous ne pouvez pas douter de l’intérêt que l’amiral et moi nous prenons à vos peines. Ce que vous mandez à monsieur de Kergarouët m’afflige d’autant plus que ma maison était celle de votre fils : nous étions fiers de lui. Si Savinien avait eu plus de confiance en l’amiral, nous l’eussions pris avec nous, il serait déjà placé convenablement ; mais il ne nous a rien dit, le malheureux enfant ! L’amiral ne saurait payer cent mille francs ; il est endetté lui-même, et s’est obéré pour moi qui ne savais rien de sa position pécuniaire. Il est d’autant plus désespéré que Savinien nous a, pour le moment, lié les mains en se laissant arrêter. Si mon beau neveu n’avait pas eu pour moi je ne sais quelle sotte passion qui étouffait la voix du parent par l’orgueil de l’amoureux, nous l’eussions fait voyager en Allemagne pendant que ses affaires se seraient accommodées ici. Monsieur de Kergarouët aurait pu demander une place pour son petit neveu dans les bureaux de la marine ; mais un emprisonnement pour dettes va sans doute paralyser les démarches de l’amiral. Payez les dettes de Savinien, qu’il serve dans la marine, il fera son chemin en vrai Portenduère, il a leur feu dans ses beaux yeux noirs, et nous l’aiderons tous.

Ne vous désespérez donc pas, madame ; il vous reste des amis au nombre desquels je veux être comprise comme une des plus sincères, et je vous envoie mes vœux avec les respects de votre

Très affectionnée servante,
Émilie de KERGAROUET. »