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URSULE MIROUET.

à madame de portenduère.


Portenduère, août 1829.


« Ma chère tante, je suis aussi contrarié qu’affligé des escapades de Savinien. Marié, père de deux fils et d’une fille, ma fortune, déjà si médiocre relativement à ma position et à mes espérances, ne me permet pas de l’amoindrir d’une somme de cent mille francs pour payer la rançon d’un Portenduère pris par les Lombards. Vendez votre ferme, payez ses dettes et venez à Portenduère, vous y trouverez l’accueil que nous vous devons, quand même nos cœurs ne seraient pas entièrement à vous. Vous vivrez heureuse, et nous finirons par marier Savinien, que ma femme trouve charmant. Cette frasque n’est rien, ne vous désolez pas, elle ne se saura jamais dans notre province où nous connaissons plusieurs filles d’argent très riches, et qui seront enchantées de nous appartenir.

Ma femme se joint à moi pour vous dire toute la joie que vous nous ferez, et vous prie d’agréer ses vœux pour la réalisation de ce projet et l’assurance de nos respects affectueux.

Luc-Savinien, comte de Portenduère. »

— Quelles lettres pour une Kergarouët ! s’écria la vieille Bretonne en essuyant ses yeux.

— L’amiral ne sait pas que son neveu est en prison, dit enfin l’abbé Chaperon ; la comtesse a seule lu votre lettre, et seule a répondu. Mais il faut prendre un parti, reprit-il après une pause, et voici ce que j’ai l’honneur de vous conseiller. Ne vendez pas votre ferme. Le bail est à fin, et voici vingt-quatre ans qu’il dure ; dans quelques mois, vous pourrez porter son fermage à six mille francs, et vous faire donner un pot-de-vin d’une valeur de deux années. Empruntez à un honnête homme, et non aux gens de la ville qui font le commerce des hypothèques. Votre voisin est un digne homme, un homme de bonne compagnie, qui a vu le beau monde avant la Révolution, et qui d’athée est devenu catholique. N’ayez point de répugnance à le venir voir ce soir, il sera très sensible à votre démarche ; oubliez un moment que vous êtes Kergarouët.

— Jamais ! dit la vieille mère d’un son de voix strident.