Aller au contenu

Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/98

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
95
URSULE MIROUET.

curé voulait boire, je le mettrai dans le bain-marie, il ne deviendra point mauvais.

— Eh ! bien, reprit le curé de sa voix insinuante, j’irai prévenir monsieur le docteur de votre visite, et vous viendrez.

La vieille mère ne céda qu’après une heure de discussion, pendant laquelle le curé fut obligé de répéter dix fois ses arguments. Et encore l’altière Kergarouët ne fut-elle vaincue que par ces derniers mots : — Savinien irait !

— Il vaut mieux alors que ce soit moi, dit-elle.

Neuf heures sonnaient quand la petite porte ménagée dans la grande se fermait sur le curé, qui sonna vivement à la grille du docteur. L’abbé Chaperon tomba de Tiennette en Bougival, car la vieille nourrice lui dit : — Vous venez bien tard, monsieur le curé ! comme l’autre lui avait dit : — Pourquoi quittez-vous sitôt madame quand elle a du chagrin ?

Le curé trouva nombreuse compagnie dans le salon vert et brun du docteur, car Dionis était allé rassurer les héritiers en passant chez Massin pour leur répéter les paroles de leur oncle.

— Ursule, dit-il, a, je crois, un amour au cœur qui ne lui donnera que peine et soucis ; elle paraît romanesque (l’excessive sensibilité s’appelle ainsi chez les notaires), et nous la verrons longtemps fille. Ainsi pas de défiance : soyez aux petits soins avec elle, et soyez les serviteurs de votre oncle, car il est plus fin que cent Goupils, ajouta le notaire, sans savoir que Goupil est la corruption du mot latin vulpes, renard.

Donc, mesdames Massin et Crémière, leurs maris, le maître de poste et Désiré formaient avec le médecin de Nemours et Bongrand une assemblée inaccoutumée et turbulente chez le docteur. L’abbé Chaperon entendit en entrant les sons du piano. La pauvre Ursule achevait la symphonie en la de Beethoven. Avec la ruse permise à l’innocence, l’enfant, que son parrain avait éclairée et à qui les héritiers déplaisaient, choisit cette musique grandiose et qui doit être étudiée pour être comprise, afin de dégoûter ces femmes de leur envie. Plus la musique est belle, moins les ignorants la goûtent. Aussi, quand la porte s’ouvrit et que l’abbé Chaperon montra sa tête vénérable : — Ah ! voilà monsieur le curé, s’écrièrent les héritiers heureux de se lever tous et de mettre un terme à leur supplice.

L’exclamation trouva un écho à la table de jeu où Bongrand, le