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L’HÉRITIER DU DIABLE.

d’une femme de condition. Puis, enfin, le chanoine devint, par force de nature, ung beau nonagenaire, bien neigeux de la teste ; tremblant des mains, mais quarré comme une tour ; ayant tant craché sans tousser, qu’il toussoyt lors sans pouvoir cracher ; ne se levant plus de sa chaire, luy qui s’estoyt tant levé par humanité ; mais beuvant frais, mangeant rude, ne sonnant mot, et ayant toutes les apparences d’ung vivant chanoine de Nostre-Dame. Veu l’immobilité de ce susdict chanoine ; veu les relations de sa vie maulvaise, qui, depuis ung peu de temps, couroyent parmy le menu peuple tousiours ignare ; veu sa reclusion muette, sa florissante santé, sa ieune vieillesse et aultres chouses longues à dire, il y avoyt aulcunes gens, lesquels, pour faire du merveilleux et nuire à notre saincte religion, s’en alloyent disant que le vray chanoine estoyt pieçà deffunct, et que depuis plus de cinquante ans le diable logeoyt au corps du dict frocquard. De faict, il sembloyt à ses anciennes praticques que le diable seul avoyt pu, par sa grant chaleur, fournir aux distillations hermétiques qu’elles se ramentevoyent avoir obtenues, à leurs soubhaits, de ce bon confesseur, qui tousiours avoyt le diable au corps. Mais, comme ce diable estoyt notablement cuyct et ruyné par elles, et que pour une royne de vingt ans il n’auroyt pas bougié, les bons esperits et ceulx qui ne manquoient point de sens, ou les bourgeoys qui arraisonnoyent sur toutes chouses, gens qui trouveroyent des poulx sur testes chaulves, demandoyent pourquoi le diable restoyt soubz forme de chanoine, alloyt à l’ecclise Nostre-Dame, aux heures où vont chanoines, et s’adventuroyt jusqu’à gobber les parfums de l’encens, gouster à l’eaue benoiste, puis mille aultres choses.

A ces proupos héréticques, les ungs disoyent que le diable vouloyt sans doubte se convertir, et les aultres que il demeuroyt en fasson de chanoine, pour se mocquer des trois nepveux et héritiers de ce susdict brave confesseur, et leur faire attendre iusques au iour de leur propre trespas la succession ample de cet oncle vers lequel ils se desportoyent tous les iours, allant resguarder si le bonhomme avoyt les yeulx ouverts ; et, de faict, le trouvoyent tousiours l’œil clair, vivant et aguassant comme œil de basilic, ce qui les divertissoyt beaucoup, veu qu’ils aymoyent trez fort leur oncle, en paroles. A ce subiect, une vieille femme racontoyt que pour seur le chanoine estoyt le diable, pour ce que deux de ses nepveux, le procureur et le capitaine, conduisant à la nuict leur