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LA CONNESTABLE.

ung pescheur qui doulcement haulse le fil affin de soubzpeser le gouion. Pour estre brief, la comtesse feit si bien le mestier des filles de ioye, quand elles travaillent pour amener l’eaue benoiste en leurs moulins, qu’eussiez dict que rien ne ressemble tant à une pute qu’une femme de haulte naissance. Et, de faict, en arrivant au porche de son hostel, la connestable hesita d’y entrer ; puis, de rechief, destourna le visaige vers le paouvre chevalier pour l’inviter à l’accompaigner, en lui descochant une œillade si diabolique, qu’il accourut à la royne de son cueur, se cuydant appellé par elle. Aussitost, la comtesse luy offrit la main, et tous deux, bouillans et frissonnans par causes contraires, se trouvèrent en dedans du logiz. A ceste male heure, madame d’Armignac eut honte d’avoir faict toutes ces putaineries au prouffict de la mort, et de trahir Savoisy pour le mieulx saulver ; mais ce légier remords estoyt aussy boiteux que les gros, et venoyt tardivement. Voyant tout mis au ieu, la connestable s’appuya bien fort sur le bras de son serviteur et luy dict :

— Venez vite en ma chambre, car besoing est que ie vous parle

Et luy, ne saichant point qu’il s’en alloyt de sa vie, ne treuva point de voix pour respondre, tant l’espoir d’un prochain bonheur l’estouffa. Quand la lavandière veit ce beau gentilhomme si vitement pesché : « En da ! feit-elle, il n’y a que les dames de la Court pour de telles besongnes. » Puis elle considéra ce courtizan par une salutation profonde où se peignoyt le respect ironicque deu à ceulx qui ont le grant couraige de mourir pour si peu de chouse.

— Picarde, feit la connestable en attirant à elle la lavandière par la cotte, ie ne me sens point la force de luy advouer le loyer dont ie vais payer son muet amour et sa belle croyance en la loyaulté des femmes

— Bah ! madame, pourquoy luy dire ? Renvoyez-le bien content par la poterne. Il meurt tant d’hommes à la guerre pour des riens, celluy-là ne sçauroyt-il mourir pour quelque chouse ? I’en referay ung aultre, si cela peut vous consoler.

— Allons ! s’escria la comtesse, ie vais tout luy dire. Ce sera la punition de mon péché…

Cuydant que sa dame accordoyt avecques la meschine quelques menues dispositions et chouses secrettes pour n’estre point troublée dans le discours qu’elle luy promettoyt, l’amant incogneu se