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CONTES DRÔLATIQUES.

tenoyt discrettement à distance en resguardant les mousches. Cependant il pensoyt que la comtesse estoyt bien hardie ; mais aussy, comme auroyt faict mesmes ung bossu, il treuva mille raisons de la iustifier, et se creut bien digne d’inspirer une telle follie. Il estoyt dans ces bonnes pensées quand la connestable ouvrit l’huys de son pourpriz et convia son chevalier de l’y suivre. Là, ceste puissante dame déposa tout l’appareil de sa haulte fortune, et devint simple femme en tombant aux pieds de ce gentilhomme.

— Las ! beau sire, dit-elle, ie suis en grant faulte à votre esguard. Écoutez. A vostre departie de ce logiz, vous trouverez la mort…, L’amour dont ie suis affolée pour ung aultre m’ha esblouie ; et, sans que vous puissiez tenir sa place icy, vous avez la sienne à prendre devant ses meurtriers. Vécy la ioye dont ie vous ay prié.

— Ah ! respondit Boys-Bourredon en enterrant au fund de son cueur ung sombre désespoir, ie vous rends graaces d’avoir usé de moy comme d’ung bien à vous appartenant… Oui, ie vous ayme tant, que tous les iours ie resvoys à vous offrir, à l’imitation des dames, une chouse qui ne se puisse donner qu’une foys ! Ores doncques, prenez ma vie !

Et le paouvre chevalier, en ce disant, la resguardoyt d’ung coup pour tout le temps qu’il auroyt eu à la veoir pendant de longs iours. Entendant ces braves et amoureuses paroles, Bonne se leva soubdain.

— Ah ! n’estoyt Savoisy, que ie t’aymeroys ! dit-elle.

— Las ! mon sort est doncques accomply, repartit Bois-Bourredon. Mon horoscope prédict que ie mourray par l’amour d’une grant dame. Ah ! Dieu ! feit-il en empoignant sa bonne espée, ie vais vendre chier ma vie ; mais ie mourray content en songiant que mon trespas asseure l’heur de celle que i’ayme ! Ie vivray mieulx en sa mémoire qu’en réalité.

Au veu du geste et de la face brillante de cet homme de couraige, la connestable feut férue en plein dans le cueur. Mais bientost elle feut picquée au vif de ce qu’il sembloyt vouloir la quitter, sans mesmes requérir d’elle une légiere faveur.

— Venez, que ie vous arme, luy dit-elle en faisant mine de l’accoller.

— Ha ! ma dame, respondit-il en mouillant d’un légier pleur le feu de ses yeulx, voulez-vous rendre ma mort impossible en attachant ung trop grant prix à ma vie ?