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LE CURÉ D’AZAY.

mais, à portée de cranecquin, le grand braguar de cheval suyvoyt, tappoyt de ses pieds la terre, comme si mareschaulx eussent battu ung fer ; et, toutes ses forces bendées, tous crins espars, responddoyt au ioly train du grant galop de la iument par son effroyable patapan ! patapan ! … Lors, bon fermier, sentant accourir la mort avecques l’amour de la beste, d'esperonner sa iument, et iument de courir ; enfin, Cochegrue, pasle et my-mort ; atteint la grant court de sa métairie ; mais, treuvant la porte de ses escuyeries fermée, il crie : « Au secours ! à moy ! ma femme ! … » Puis il tourne, tourne autour de sa mare, cuydant éviter le mauldict cheval auquel les amourettes brusloyent, qui faisoyt raige, et croissoyt d’amour au grief pourchaz de sa iument. Tous les siens, espouvantez de ce dangier, n’osoyent aller ouvrir l’huys de l’escuyerie, redoubtant l’estrange accollade et les coups de pied de l’amoureux ferré. Brief, la Cochegrue y va, mais, iouxte la porte que la bonne iument avoyt enfilée, le damné cheval l’assaille, l’estrainct, lui donne sa sauvaige venue, l’embrasse des deux iambes, la serre, la pince, la trentemille, et, pendant ce, pestrit et mulcte si dur le Cochegrue, que dudict il n’ha esté treuvé qu’ung desbris informe, concassé comme ung gasteau de noix, après l’huile distillée. C’estoyt pitié de le voir escarbouillé tout vif et meslant ses plainctes à ces grans sospirs d’amour de cheval.

— Oh ! la iument ! s’escria la bonne gouge du curé.

— Quoi ? feit le bon prebstre estonné…

— Mais oui ! Vous aultres ne feriez point tant seulement crever une prune !

— En da ! respartit le curé, vous me reprouchez à tort !

Le bon mary la gecta de cholère sur le lict ; et, de son poinçon l’estampa si rude, qu’elle s’esclatta sur le coup, toute escharbottée ; puis mourut, sans que ni chirurgians ni physicians ayent eu cognoissance de la fasson dont se feirent les solutions de continuité, tant furent violemment desioinctes les charnières et cloisons médianes. Comptez que c’estoyt ung fier homme, ung beau curé, comme ha esté dessus dict.

Les honnestes gens du pays, voire les femmes, convindrent qu’il n’avoyt point eu tort et qu’il estoyt dans son droict. De là peut-estre est venu le proverbe tant dict en ce temps : Que l’aze le saille ! Lequel proverbe est encores plus deshonneste de mots