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LES CONTES DRÔLATIQUES.

que ie ne le dis par révérence des dames. Mais ce grant et noble curé n’estoyt pas fort que de là, et paravant ce malheur, il feit ung coup tel, que nuls voleurs n’osoyent plus iamais luy demander s’il avoyt des anges dans sa pochette, encores qu’ils eussent esté vingt et quelques pour l’assaillir. Ung soir, il y avoyt tousiours sa bonne femme, après souper, qu’il avoyt bien festoyé l’oie, la gouge, le vin et tout, et restoyt en sa chaire à deviser où il feroit construire une grange neufve pour les dixmes, vécy venir ung messaige du seigneur de Sacché qui rendoyt l’ame et vouloyt se réconcilier à Dieu, le recepvoir et faire toutes les quérémonies que vous sçavez. « C’est ung bon homme et loyal seigneur, i’y vais ! » dit-il. Là-dessus, passe à son ecclise, prend la boëte d’argent où sont les pains sacrez, sonne luy-mesme sa clochette pour ne point esveigler son clerc, et va, de pied légier, trez-dispos, par les chemins. Iouxte le Gué-droit, qui est ung rut qui se gecte dans l’Indre à travers la prairie, mon bon curé aperceut ung malandrin. Et qu’est ung malandrin ? C’est ung clerc de sainct Nicholas. Et quoy encores cecy ? Eh bien, c’est ung qui veoit clair en pleine nuict, s’instruit en compulsant et retournant les bourses, et prend ses degrez sur les routes. Y estes-vous ? Doncques, ce malandrin attendoyt la boëte qu’il sçavoyt estre de bien grant prix.

— Oh ! oh ! feit le prebstre, en desposant le cyboire iuz la pierre du pont, toy, reste là sans bougier.

Puis il marche au voleur, luy donne ung croc-en-iambe, luy arrache son baston ferré, et alors que ce maulvais gars se relève pour lucter avecques luy, il vous l’estrippe d’ung coup bien adressé dans les escoutilles du ventre.

Puis il reprind le viaticque en luy disant bravement : « Hein ! si ie m’estoys fié à ta providence, nous estions fondus ! … » Mais proférer ceste impiété sur le grant chemin de Sacché, c’estoyt ferrer des cigales, veu qu’il la disoyt, non pas à Dieu, mais bien à l’archevesque de Tours, lequel l’avoyt durement tancé, menassé d’interdict et admonesté au Chapitre, pour avoir dict en chaire à gens lasches que les moissons ne venoyent point par la graace de Dieu, ains par bons labours et grant poine : ce qui sentoit le fagot. Et, de faict, il avoyt tort, pour ce que les fruicts de la terre ont besoing de l’un et de l’aultre ; mais il mourut dans cette hérésie, car il ne voulut iamais comprendre que moissons pussent venir sans la pioche, s’il plaisoyt à Dieu ; doctrine que les savans ont prouvée estre vraye, en demonstrant que iadis le bled estoyt bien poulsé