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LE CURÉ D’AZAY.

sans les hommes… Point ne lairray ce beau modèle de pasteur, sans enclore icy l’ung des traicts de sa vie, lequel prouve avecques quelle faveur il imitoyt les saincts dans le partage de leurs biens et manteaux, qu’ils donnoient iadis à paouvres et passans. Ung iour, il revenoyt de Tours tirer sa révérence à l’official, et gaignoyt Azay, monté sur sa mule. Chemin faisant, à ung pas de Ballan, il rencontre une belle fille qui alloyt à pied et feut marry de veoir ceste femme voyageant comme les chiens, d’autant qu’elle estoyt visiblement fatiguée et levoyt son arrière-train à contre-cueur. Alors il la huchia doulcement, et belle fille de soy retourner et arrester. Le bon prebstre, qui s’entendoyt à ne point effarouchier les fauvettes, surtout les coëffées, la requit si gentement de se mettre en croupe sur la mule, et de si bonne manière, que la garse monta non sans faire quelques réserves et cingeries, comme elles en font toutes, quand on les convie à mangier ou à prendre ce qu’elles veulent. L’ouaille appareillée avecques le pasteur, la mule va son train du mule ; et la garse de glisser de cy, de là, vétillant si mal, que le curé luy remonstra, au sortir de Ballan, que ce seroyt mieulx de se tenir à luy ; et aussytost la belle fille de croiser ses bras potelez sur le pectoral de son cavalier, tout en n’osant.

— La ! ballottez-vous encores ? Estes-vous bien ? dit le curé.

— En da ! oui, ie suis bien. Et vous ?

— Moy, feit le prebstre, ie suis mieulx.

Et, de faict, il estoyt à l’aise, et feut bientost gracieusement chauffé dans le dos par deux tangentes qui le froissoyent et finèrent par vouloir s’empreindre dans ses omoplates, ce qui eust esté dommaige, veu que ce n’estoyt point le lieu de ceste bonne et blanche marchandise. Peu à peu, le mouvement de la mule mit en coniunction la chaleur interne de ces deux bons cavaliers, et feit mouvoir leur sang plus vite, veu qu’il avoyt le bransle de la mule avecques le sien ; et, par ainsy, la bonne garse et le curé finèrent par cognoistre leurs pensées, mais non celles de la mule. Puis, quand