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LES TROIS CLERCS.

eniambant à sa place, son pertuys ayant eu alors fantaisie d’esternuer, feit une telle descharge de coulevrine, que vous eussiez creu comme moy que les rideaulx se deschiroyent.

« — Ha ! i’ay manqué mon coup ! feit-elle.

« — Tudieu ! lui dis-ie, ma mye, alors espargnez-les. Vous gaignerez vostre vie à l’armée avecques ceste artillerie.

« C’estoyt ma femme. »

— Ho ! ho ! ho ! feirent les clercs.

Et ils se respandirent en éclats, se tenant les costes, louant l’hoste.

— As-tu, vicomte, entendu meilleur conte ?

— Ha ! quel conte !

— C’est ung conte !

— C’est ung maistre conte !

— Le roy des contes !

— Ha ! ha ! il estrippe tous les contes ! et il n’y ha désormais contes que contes d’hostellerie !

— Foy de chrestien ! vécy le meilleur conte que i’aye ouy de ma vie.

— Moy, i’entends le pet.

— Moy, ie vouldroys baiser l’orchestre.

— Ha ! monsieur l’hoste, dit gravement l’Angevin, nous ne sçaurions sortir de céans sans avoir veu l’hostesse ; et, si nous ne demandons pas à baiser son instrument, c’est par grand respect pour ung si bon conteur.

Là-dessus tous exaltèrent si bien l’hoste, son conte et le chouse de sa femme, que le vieulx rostisseur, ayant fiance en ces rires naïfs et pompeux éloges, huchia sa femme. Mais, elle ne venant point, les clercs dirent, non sans intention frustratoire : — Allons la veoir.

Doncques tous sortirent de la salle. Puis l’hoste print la chandelle, monta, premier, par les degrez, pour leur monstrer le chemin en les esclairant ; mais, voyant la porte de la rue entrebayée, les chicquaniers s’évadèrent, légiers comme des umbres, laissant à l’hoste licence de prendre pour solde ung aultre pet de sa femme.


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