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CONTES DRÔLATIQUES.

estoyt apertement démonstré que soubz son apparence gist et se mouve ung démon autheur de ces maulx, et que elle estoyt présentement sommée de declairer en quel aage elle avoyt receu cettuy démon ; advouer les conditions atermoyées entre elle et luy, puis dire la vérité sur leurs communs maléfices. Par elle qui parle ha esté reparty que elle vouloyt respondre, à nous homme, comme à Dieu, qui doibt estre nostre iuge à tous. Lors, ha prétendu, elle qui parle, n’avoir iamais veu le démon, ne luy avoir point parlé, ne aulcunement soubhaité le veoir ; ne point avoir faict mestier de courtizane, pour ce que oncques elle qui parle n’avoyt practicqué les délices de toute sorte qu’invente l’amour aultrement que meue par le plaisir que le Créateur souverain avoyt mis en ceste chouse, et y avoir tousiours esté incitée, elle qui parle, plus par dezir d’estre doulce et bonne au chier seigneur aymé par elle que par ung vouloir incessamment trepignant. Mais que, si tel avoyt esté son vouloir, elle qui parle nous supplioyt de songier que elle estoyt une paouvre fille africquaine, en laquelle Dieu avoyt mis ung sang trez-chauld, et, en son pensouère, si facile entendement des delices amoureuses, que, alors que homme la resguardoyt, elle sentoyt ung grant esmoy en son cueur. Puis, si par dezir d’accointance ung amoureux seigneur la touchioyt, elle qui parle, en aulcun endroict du corps, en y coulant la main, elle estoyt, maulgré tout, soubz son pouvoir, pour ce que le cueur luy failloyt aussytost. Par ce touchier, l’appréhension et remembrance de toutes les belles ioyes de l’amour se resveigloyent en son centre et y mouvoyent une aspre ardeur, laquelle gaignoyt le hault, flamboyt ez veines et la faisoyt amour et ioye de la teste aux pieds. Et du iour où, premier, dom Marsilis, en elle qui parle, avoyt ouvert la compréhension de ces chouses, elle n’avoyt iamais eu aultre pensier, et recogneut alors que l’amour estoyt chouse si parfaictement concordante à sa nature espéciale, que depuis avoyt esté prouvé à elle qui parle que, par faulte d’homme et arrouzement naturel, elle seroyt morte desseichiée au dict convent. En tesmoingnaige de cecy, elle qui parle nous afferme en toute certaineté que, après sa fuyte dudict moustier, oncques n’eut ung iour ni feut ung seul brin de temps en mélancholie ne tristesse, ains tousiours feut, elle qui parle, ioyeulse, et par ainsy suyvit la sacre voulenté de Dieu à son esguard, de laquelle se cuydoyt avoir esté divertie en tout le temps perdu pour elle en ce moustier.

A cecy feut obiecté par nous Hiérosme Cornille audict démon