Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
387
LE SUCCUBE.

que, en ceste response, estoyt par luy apertement blasphemé contre Dieu, pour ce que nous avions esté faicts tous à sa plus grant gloire, et mis en ce monde pour l’honorer et le servir ; avoir soubz les yeulx ses benoists commandemens et vivre sainctement à ceste fin de gaigner l’heur éterne, et non estre couchiez à faire tousiours ce que les bestes elles-mesmes ne font qu’en ung temps. Lors par ladicte sœur a esté respondu que elle qui parle avoyt moult honoré Dieu ; que, en tous les pays, avoyt eu cure des paouvres et souffreteux, leur donnant force deniers, vestemens, et plourant au veu et au sceu de leurs misères ; et que, au iour du iugement darrenier, elle qui parle souloyt espérer avoir autour d’elle bonne compaignie des sainctes œuvres plaisantes à Dieu, qui crieroyent mercy pour elle. Puis, que, n’estoyt son humilité, crainte d’estre reprouchée et paour de desplaire à messieurs du Chapitre, elle eust avecques ioye despendu ses biens à parachever la cathédrale de Sainct-Maurice, et y establir des fundations pour le salut de son ame, n’y espargnant point sa ioye ni sa personne ; et que en ce pensier, elle auroyt prins double plaisir en ses nuictées, pour ce que chascun de ses amours auroyt bouté une pierre à l’édification de ceste basilicque. Aussy, d’abundant, pour ceste fin et pour l’heur éterne d’elle qui parle, tous ceulx qui l’aymoyent auroyent-ils donné leurs biens à grant cueur.

Lors, par nous ha esté dict à ce démon que elle ne sçauroyt se iustifier d’estre brehaigne, pour ce que, maulgré tant de copulations, nul enfant n’estoyt né d’elle ; ce qui prouvoyt la présence d’ung démon en son corps. D’abundant, Astaroth seul ou ung apostre pouvoyt parler en tout languaige, et que elle parloyt à la mode de tout pays, ce qui tesmoignoyt la présence du diable en elle. À ce par elle qui parle ha esté dict, pour ce qui est des diversitez de languaige, que de grec elle ne sçavoyt rien aultre chouse si ce n’est : Kyrie eleison ! dont elle faisoyt grant usaige ; de latin, rien si ce n’est : Amen, et le disoyt à Dieu, soubhaitant en obtenir la liberté. Puis que, pour le demourant, elle qui parle avoyt eu grant douleur d’estre orbe d’enfans ; et, si les mesnaigieres en faisoyent, elle cuydoyt que ce estoyt pour ce que elles ne prenoyent que petitement plaisir en la chouse, et elle qui parle, ung peu trop. Mais que tel estoyt sans doubte le vouloir de Dieu, qui songioyt que par trop grant bonheur le monde seroyt en dangier de périr.

Entendant ce et mille aultres raisons qui suffisamment establissent la présence d’ung diable au corps de la sœur, pour ce que