Aller au contenu

Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour l’Amérique du Sud ; j’ai le besoin de me déplacer, un désir immense de voir ma mère…

— Mais le projet de rencontre avec M. de Trailles, croyez-vous qu’il ne doive pas inquiéter vos amis ?

— Ah ! c’est là une de mes plus chères espérances ! Ce misérable qui, dans l’intérêt de ce mariage, auquel il s’accroche comme à une planche dans un naufrage, aura jeté le trouble dans ma vie !…

— Et M. de Saint-Estève, demanda timidement Bricheteau, vous ne le verrez pas ? Il a de vous entrevoir, ne fût-ce qu’un moment, une passion frénétique. Puisque vous partez, lui faire cette joie ne tirerait pas beaucoup à conséquence.

— Non, dit Sallenauve avec fermeté, je ne le verrai pas maintenant. J’ai besoin de m’acclimater à l’idée de cette paternité ; plus tard, à mon retour, je ne dis pas.

— Je ne vous le cache pas, il est capable de ne pas attendre votre permission. Jamais je ne vis homme plus profondément remué, et demain il serait possible…

— Il ne me trouvera pas : ce soir même je me mets en route pour Brest, où je trouverai sans doute quelque navire en partance, et vous lui direz, s’il lui prenait envie de me suivre, que je me suis dirigé sur le Havre. Mes dispositions ne seront pas longues à faire ; nous allons passer chez le notaire de Sèvres, qui dressera une procuration, la plus large possible, pour que vous restiez chargé de toutes mes affaires.

— Mais s’il me prenait envie de vous suivre ?

— Avez-vous ce désir ? Ce serait peut-être ce qu’il y aurait de mieux ; de cette manière, je ne laisserais plus en France personne qui m’intéresse.

— Non, dit Bricheteau, je ne parle pas sérieusement ; j’ai une mission, et mon devoir est d’achever l’œuvre que j’ai commencée ; il faut, avant de penser à moi, que je vous mène au port. Seulement, si vous vouliez faire un peu valoir mon dévoûment auprès de la personne que vous savez, je vous serai reconnaissant.

— Ah ! cher ami, je vous ai compris, dit Sallenauve en lui donnant la main, et votre plus ardent désir serait le mien aussi. Maintenant, ajouta-t-il, voici une lettre pour la mère Marie-des-Anges, une autre pour le brave Lau-