Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/111

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chose s’est dite avant-hier soir dans le salon de madame d’Espard. Dès-lors, la déduction était facile : du vieux marquis à M. de Trailles, de M. de Trailles à vous, de vous à votre serviteur, l’enchaînement saute aux yeux. Aussi, je ne dois pas vous le cacher, votre main, dans cette affaire, ne fait pas un doute pour les intéressés.

— Pour peu surtout que vous ayez cru devoir, par un ridicule aveu, confirmer leurs soupçons.

— Mais, monsieur le ministre, mettez-vous à ma place : pouvais-je bien être maître de moi ?

— Le métier d’un agent politique, répondit sentencieusement Rastignac, est de se posséder en toute circonstance. Ce n’est certes pas Corentin, dont vous paraissiez faire l’autre jour une si mince estime, qui, dans une occasion pareille, eût manqué de sang-froid.

— J’aurai l’honneur de vous faire observer, monsieur le ministre, que c’est vous, au contraire, qui parliez de lui comme d’un homme dont il n’y avait plus rien à tirer.

— Enfin ! dit Rastignac, c’est une expérience que j’ai faite, et qui n’a pas été heureuse. Je vous croyais un autre homme.

— Les Brutus, dit Vautrin, ne courent pas les rues, surtout les Brutus à huis-clos ; ainsi, monsieur le ministre, je dois vous l’avouer, vous me voyez en ce moment en proie à une autre lâche préoccupation, celle de savoir la manière dont cette soustraction dans laquelle j’ai trempé, va tourner pour mon malheureux fils.

— Mais elle tournera comme il le voudra : ou à la prochaine session, comme je le lui ai dit, il fera un acte d’adhésion solennelle à la politique du gouvernement, ou il donnera sa démission, ou alors, moi, je ferai un usage quelconque des armes que j’ai en main.

— La première combinaison me paraît peu réalisable. Mon fils est un homme à principes arrêtés ; sa démission serait ce qu’il aurait de plus simple, parce qu’alors, en échange, vous auriez la bonté de lui remettre ses papiers.

— Ah ! non, non, dit Rastignac ; dans le cas seulement où M. de Sallenauve passerait très publiquement dans le camp conservateur, je me dessaisirais de ce que je détiens. M. de Sallenauve, se contentant de donner sa dé-