Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/112

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mission, peut, un peu plus tard, reprendre son rôle d’opposant, et je veux avoir contre lui des garanties.

— Cependant, monsieur le ministre, vouloir qu’un homme, pendant des années, vive sous le coup d’une pareille menace, est-ce lui faire une position supportable ? Il y a tel caractère qui, à cette torture, préférerait le rôle de Samson.

— Comment l’entendez-vous, monsieur Vautrin ?

— Mais, monsieur le ministre, ébranler les colonnes du temple et s’abîmer dessous avec les Philistins.

— Eh bien ! si ce jeu plaît à M. de Sallenauve, nous pourrons le jouer : il affirmera, nous nierons ; et comme il n’y a que vous et moi qui sachions ce qui a été fait…

— Mais, monsieur le ministre, si j’allais, dominé encore par le sentiment paternel, me mettre du côté de l’affirmation ?

— Est-ce une menace ? demanda Rastignac avec hauteur.

— Non, monsieur le ministre, c’est une supposition : nous examinons toutes les faces de l’affaire, et je parle avec vous à cœur ouvert ; comme vous me faisiez l’honneur de me le dire l’autre jour, il y a longtemps que nous nous connaissons.

— Monsieur Saint-Estève, dit Rastignac en appuyant sur les mots, je n’aime pas le tortillonnage. Si dans une affaire où vous étiez l’agent du gouvernement il vous plaît de manquer à tous vos devoirs en livrant à la publicité des secrets d’État, vous êtes parfaitement libre, et j’aurai l’honneur de croiser le fer avec vous. Puisque nous nous savons l’un et l’autre depuis longtemps, vous pouvez vous rappeler que je ne cède pas plus à l’intimidation qu’aux enlacements séducteurs ; ce que je veux faire, je le fais ; j’ai suivi ma direction et vous la vôtre ; c’est à vous de voir qui de nous deux a su le mieux tirer son épingle du jeu.

— À Dieu ne plaise, monsieur le ministre, dit Vautrin, qui parut vivement impressionné par ce ton résolu, que j’aie l’intention d’entamer avec vous une lutte ; je sais bien que je suis ici le pot de terre ; mais j’ose solliciter pour mon fils un peu de votre clémence : il est possible que de lui-même il vous cède le haut du pavé ; il aura