Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/117

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— Peut-être prends-tu un peu vite la mouche ; je le verrai.

— Du tout, tu ne le verras pas, et je te défends de lui ouvrir la bouche à mon sujet. Je ne veux plus de sa place ni de ses insolences ; mais on ne se joue pas d’un homme de ma valeur. Où en es-tu avec sa femme ?

— Ça marche, répondit Franchessini, mais doucettement ; c’est un siège délicat et difficile.

— Combien de temps encore te faut-il pour être au cœur de la place ?

— Ah ! ça ne se calcule pas comme une éclipse.

— Je te donne six mois ; est-ce assez ?

— Comment, tu me donnes ? mais quel intérêt as-tu donc tant à mon bonheur ?

— Dans six mois, dit Vautrin, tu auras par-devers toi, au moins une lettre, constatant la prise de possession, et tu me feras l’amitié de me la remettre.

— D’abord, mon cher, répondit Franchessini, il faut te faire remarquer qu’il y a telle femme ayant eu des aventures aussi publiques que possible, et dont il serait impossible de trouver une ligne d’écriture sur la place. Madame d’Edraps, par exemple, ne s’est jamais laissée aller au moindre petit billet ; toutes ne sont pas des écriveuses à la manière de madame de Serizy et de la princesse de Cadignan dont tu as si savamment exploité les plumes indiscrètes.

— Cela n’est pas une difficulté, dit Vautrin : un vieux Lovelace comme toi saura bien manœuvrer une débutante comme cette petite Rastignac.

— Je veux le croire, répondit Franchessini ; mais il y a quelque chose de plus grave, c’est que le procédé ne serait pas convenable. On montre les lettres d’une femme, on causaille des bontés qu’elle a pu avoir pour vous ; mais prendre d’elle une lettre destinée à être montrée au mari, car c’est là, je pense, ton idée, le guet-apens est un peu fort et demande qu’on y pense mûrement.

— Il y a trente et un ans, répondit Vautrin avec solennité, en 1808, un jeune homme plein de fougue et d’inexpérience, pour subvenir aux folles dépenses où l’entraînait une femme, avait fait de fausses lettres de change, cela le menait droit au bagne, d’où il eût roulé, sans