Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/119

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— Mais, dit Vautrin en pressant avec violence le bras de son interlocuteur, si l’intérêt qui me fait agir n’était le plus saint, le plus élevé des devoirs ; si, au lieu de cette ambition bête que tu me supposes, et que je n’ai à aucun degré, car je ne veux plus de la place de Corentin, et je ne peux plus en vouloir, je poursuivais dans Rastignac l’assassin prêt à égorger avec froideur et préméditation l’honneur de toute une famille ; si, pour l’empêcher de commettre ce crime, j’avais besoin de lui montrer seulement qu’il est ridicule !

— Dame ! tu m’en diras tant !

— Après tout, d’ailleurs, si tu es devenu la crème des chevaliers français, est-ce que je te demande de réussir à fond ? Donne-moi seulement la preuve que la femme de ce petit drôle s’est compromise ; qu’elle est sur la limite extrême de la chute ; avec cela je me charge d’amener mon homme où je voudrai, attendu, si tu parles d’intérêt disproportionné avec les moyens mis sur table, que lui-même n’a à commettre le crime que je veux empêcher qu’un intérêt des plus mesquins.

— Je vois bien, répondit Franchessini, que nous finirons par nous entendre. Mais ne trouves-tu pas un peu étrange qu’entre nous deux, et quand il s’agit d’une œuvre commune, les choses ne soient pas plus clairement expliquées ?

— Tu as peut-être raison, dit Vautrin ; rivés comme nous sommes l’un à l’autre, je ne dois peut-être pas avoir pour toi de secrets. D’ailleurs, s’il pouvait arriver que tu abusasses jamais de celui que je vais te confier, comme tu ne dois pas mettre en doute que je te tuerais à l’instant comme un chien, ce serait manquer aux devoirs de notre vieille amitié que de ne pas tout te dire.

Vautrin passa alors son bras sous celui de Franchessini, fit avec lui quelques pas, l’amena sous la lumière d’une lanterne à gaz, et quand son visage fut ainsi éclairé à plein :

— Eh bien ! lui dit-il, puisqu’il faut tout t’apprendre, j’ai un fils…