Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/122

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vous sauver… oui vous sauver quoique vous me regardiez avec un air d’ébahissement ; mais une franchise absolue peut seule vous assurer mon intérêt. Avouez d’abord, et donnez-moi, de bonne volonté, les preuves que je vous demande ; vous ne savez pas ensuite quels desseins on peut avoir sur vous.

— Vous êtes monsieur Saint-Estève ; je vous connais dit le graveur se décidant à parler.

— Parbleu ! tout le monde me connaît.

— C’est vous qui, dans le temps, avez été sur le point de faire la fortune du jeune Lucien de Rubempré ?

— Oui, jeune homme, et je l’avais ramassé dans une situation pire que la vôtre : au moment où je le rencontrai il était sur le point de piquer une tête dans la Charente, à un endroit où les plus fins nageurs étaient sûrs de rester.

— Ce n’est pas étonnant, remarqua le graveur, que vous ayez été bienveillant pour lui, il était, dit-on, si beau, que tout le monde s’intéressait à lui.

— Mais, mon garçon, répondit Vautrin, vous n’êtes déjà pas trop mal, et il paraît que mademoiselle Beauvisage vous trouve assez de son goût.

— Pouh ! fit le jeune blondin, mademoiselle Beauvisage, une amusette qui ne mène à rien.

— Qui ne mène à rien ? répéta Vautrin, peste ! soixante mille livres de rente en dot : on ne trouve pas tous les jours sur son chemin de pareilles impasses.

— Oui, mais elle est la promise (l’expression allemande) d’un homme en crédit.

— Joli ! son crédit, répliqua Jacques Collin en haussant les épaules, un intrigant, qui s’est fait des ennemis mortels, et qui n’a pas un ami ! Vous, au contraire, vous avez un protecteur puissant.

— Moi ! quelqu’un me protège ?

— Mais, sans cela, pensez-vous que je prendrais avec vous les mitaines que, depuis un quart d’heure, vous me voyez aux mains ?

— Mais qui donc me veut du bien ? demanda le graveur.

— Une parente respectable, qui vous attend avec impatience pour vous embrasser.