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Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/123

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— J’ai à Paris une parente ?

— Une femme immensément riche, chez laquelle vous allez vous rendre de ma part, après toutefois que vous aurez eu soin de couper votre barbe, qui vous donne l’air d’un insurgé. Maintenant, livrez-moi tous vos ustensiles et allez retrouver madame votre tante, la comtesse douairière de Werchauffen, rue de la Bienfaisance, no 33. Je vais, moi, rester ici à instrumenter, dressant procès-verbal, comme si je n’avais pas trouvé le sieur Raymond. Ce soir, baron de Werchauffen, je vous verrai au domicile que je viens de vous indiquer, et nous nous expliquerons mieux.

Le Prussien commença à prendre confiance : il pensa que sans doute on voulait lui donner un rôle dans une intrigue plus ou moins honnête ; mais, avec le métier que nous lui connaissons, et dans la situation désespérée où il se trouvait alors, la perspective de quelque ténébreuse combinaison n’était pas faite pour l’inquiéter beaucoup. Vautrin lui paraissait d’ailleurs devoir être de bonne foi, lorsqu’il lui donnait l’ordre de faire disparaître sa barbe, qui, dans son signalement de prévenu, était le signe le plus caractéristique.

— Je suis soupçonneux, dit-il néanmoins, laissez-moi d’abord me raser et faire un peu de toilette ; après, peut-être, nous pourrons causer.

— Faisons mieux, dit Vautrin, vous m’avez l’air d’un gaillard à beaucoup exposer pour vivre dans le luxe et l’abondance. Si vous êtes docile et pas curieux, votre fortune est assurée, et cela sans courir l’ombre d’un danger. On ne vous demande que de vous faire bien venir d’une jolie femme, et déjà vous avez mis les fers au feu. Habillez-vous ; moi je vous laisse. Dès que vous serez pomponné, rendez-vous à l’adresse que je viens de vous donner. Un quart d’heure après votre départ, je reviendrai avec un grand appareil de justice saisir tout votre matériel de faux monnayeur, que vous aurez soin de laisser à ma disposition. Le baron de Werchauffen sera d’autant plus en repos sur le pavé de Paris, que le prussien Schirmer, dit Raymond, se trouvera plus gravement compromis.

Voyant que cette proposition pleine de longanimité