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Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/125

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m’avait promis de vous retrouver, m’avait annoncé un garçon élégant et de bonnes manières ; je vois qu’il ne m’a pas trompée.

— Madame, dit le jeune Allemand, je ne savais pas avoir à Paris une parente, et j’ai été tout à l’heure bien surpris…

— Quand on vous a parlé de moi, interrompit la prétendue comtesse ; mais bien d’autres surprises vous sont réservées, si vous voulez vous montrer docile à mes conseils et seconder les vues que j’ai depuis longtemps sur vous.

Pour témoigner qu’il entrait bien dans la comédie, et en même temps pour savoir si la respectable tante était la dupe ou la complice de Vautrin, le Prussien, qui était un aventurier de taille à faire sa partie avec les deux grands exécutants auxquels il allait avoir affaire, risqua une question imprudente ; mais il y avait cependant pour lui moyen d’en revenir s’il eût senti la glace lui manquer sous les pieds.

— Comment, demanda-t-il, se porte mon grand-oncle, le commandeur ?

— Nous l’avons perdu l’an passé, répondit sans sourciller la Saint-Estève.

— Et ma cousine, la chanoinesse ? dit encore le Prussien, car enfin, si le diable avait fait qu’il y eût justement un commandeur dans la famille, il ne devait pas s’y trouver, de surcroît et à point, une chanoinesse pour donner raison à toutes ses hasardeuses curiosités.

— Elle se porte à merveille, dit Jacqueline Collin du même ton indifférent : mais toujours ses manies ; elle a maintenant onze chats qui sont tout à fait les maîtres de son appartement. C’est une odeur à n’y pas tenir, et, quand ils sont malades, elle a exprès pour eux un médecin auquel elle fait une rente de trois cents florins.

— Et vous, madame et chère tante, vous êtes toujours tourmentée par votre sciatique ?

— Non, elle me laisse en ce moment un peu de répit ; seulement, je me tiens chaudement, parce que mon docteur me recommande de grands ménagements ; mais vous allez voir, mon neveu, que je marche assez crânement.

Pendant qu’à un coup de sonnette le valet de cham-