Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/126

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bre était entré et avait donné à la prétendue goutteuse, un bec-à-corbin, le Prussien méditait ce mot, peu parlementaire, de crânement, et se demandait quelle pouvait être cette femme dont le langage était si mal en rapport avec les apparences de sa situation sociale.

— Donnez-moi votre bras, mon neveu, dit la Saint-Estève, que je vous fasse voir votre petit établissement.

Après avoir traversé le salon par lequel il était entré, le jeune Allemand fut conduit de l’autre côté du palier dans un appartement où le confortable le plus recherché se montrait marié à l’élégance du meilleur goût.

— Voilà où vous percherez, mon enfant, dit la tante, mais quoique nous soyons porte à porte, vous ne serez pas gêné par le souci des devoirs que vous aurez à me rendre. Vous ne viendrez chez moi que quand je vous ferai appeler ; j’aime à être seule et à ne pas être interrompue dans mes méditations : c’est une manie de vieille femme. Pour vos entrées et sorties de jour et de nuit, vous n’aurez pas à vous occuper de moi : je sais que la jeunesse aime la liberté, et je veux que vous en usiez absolument comme si je n’étais pas dans la maison.

Ces conditions d’existence ne pouvaient être que très agréables à celui auquel on les expliquait.

— Maintenant, continua la Saint-Estève, allons voir vos écuries.

Après qu’en faisant beaucoup de contorsions et de grimaces, la Saint-Estève fut arrivée au bas de l’escalier, elle présenta à son neveu un cocher de tournure anglaise, qui les conduisit à une écurie, où deux chevaux se prélassaient ayant de la litière jusqu’au ventre.

Le Prussien vit ensuite un charmant coupé de la facture la plus moderne :

— Tout cela, lui dit la Saint-Estève, est à vous, et vous n’aurez pas à vous occuper d’en payer l’entretien ; votre valet de chambre et votre cocher seront également à mon compte ; pour vos habits, vos menus plaisirs et votre nourriture, car je mange comme un oiseau et vous feriez avec moi un mauvais régime, vous pouvez compter tous les mois sur cent louis, qui, je pense, vous paraîtront une pension raisonnable. Maintenant, je vous rends votre liberté ; soyez seulement exact ce soir à neuf heures pour