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Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/132

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une étroite captivité dont rien ne peut faire augurer le terme. L’aller rejoindre est une pensée dont vous imaginez bien, cher ami, que je suis grandement bourrelé, mais la politique soupçonneuse du dictateur, homme d’État remarquable, dans lequel il y avait du cardinal de Richelieu, tenait avec soin les étrangers éloignés du territoire de sa république, et ceux qui parvenaient à y pénétrer n’avaient plus la liberté d’en sortir. Cette politique se perpétue aujourd’hui. Et si quelque chose a percé des projets dont j’avais pu être l’objet, on comprendra avec quelle vigueur elle s’appliquerait à moi en particulier. Même en m’introduisant dans le pays sous un nom inconnu, mon empressement à me rapprocher de ma mère, avec laquelle il n’est pas d’ailleurs probable qu’on me laissât communiquer, me désignerait comme ce ridicule prétendant dont on a peut-être défiance, et qui sait le traitement auquel je serais exposé ?

» Quoique plus loin de celle dont la délivrance est maintenant la seule pensée de ma vie, je suis ici mieux posé pour m’occuper efficacement de la rendre à la liberté. Je vous tiendrai, cher ami, au courant de mes démarches ultérieures, car je ne sais encore par quel côté j’aborderai cette œuvre si ardue.

» Dites-moi un peu comment a été prise ma disparition de la scène politique et si les commentaires ont été bien malveillants ? M. de Rastignac a-t-il été fidèle à l’engagement qu’il avait pris de ne rien ébruiter, et l’autre personne qui s’était chargée de le tenir en respect est-elle réellement posée de manière à avoir sur lui quelque action ? Enfin mettez-moi au courant de toutes les nouvelles et croyez au bien affectueux sentiment du plus dévoué de vos amis.

» P. S. Vous le voyez, je ne sais de quel nom vous signer cette lettre, car celui que vous m’avez ménagé me pèse, et je voudrais cesser de le porter ; mais je n’ai point trouvé auprès du marquis de Sallenauve toute la facilité que j’aurai cru à me défaire de ma filiation apocryphe. Un fils comme vous, m’a-t-il dit plus galamment que je ne l’aurais voulu, quand on l’a, on le garde, d’autant mieux, s’est-il empressé d’ajouter avec effronterie, que vous êtes riche, et qu’au besoin vous devriez des aliments à petit