Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/135

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ble qu’entre nous et cet homme le contact soit inévitable.

» Avant l’entrée de la mariée, je pus examiner l’assistance, qui était véritablement des plus distinguées. Comme les Beauvisage ne connaissent que peu de monde à Paris, c’était évidemment pour le marié que se faisait toute cette affluence élégante. Voir un homme aussi décrié devenu l’objet d’un pareil empressement, serait vraiment inexplicable, si l’on ne savait qu’il a eu le talent de se faire extraordinairement redouter, et que, depuis sa mission d’outre-mer, il est en grande faveur auprès de M. de Rastignac, le ministre influent.

» Inutile de vous dire que M. de l’Estorade figurait parmi les invités qui avaient répondu à l’appel, et j’ai su depuis par madame de l’Estorade que, pour se dispenser de l’accompagner, elle avait eu à soutenir une lutte assez vive.

» — Ce qui me passe, ajoutait-elle, en me racontant ce grand débat avec son mari, c’est d’apprendre que madame la duchesse de Grandlieu (voir Béatrix), la femme la plus fière et la plus collet monté, était là aussi avec ses filles, et que, dans la sacristie, elle a fait à cette fille de bonnetier toute espèce de gracieusetés.

» Moi, mon cher ami, je n’ai pas de même sacrifié à l’idole ; et, en attendant l’apurement du compte que vous vous proposez de régler plus tard, j’ai fait à ce drôle une petite malice musicale qui n’est point passée inaperçue. C’est un véritable plat de mon métier, comme on dit, que je lui ai servi.

» D’abord, j’avais affecté de saluer son bonheur des motifs les plus lugubres et les plus lamentables qu’il me fût possible d’imaginer : jamais on ne se serait cru à un mariage, et je n’eusse pas joué d’autre manière quand il se serait agi d’un enterrement. De ma place, dans la place fixée au-dessus du siège de l’organiste, pour qu’il puisse apercevoir ce qui se passe dans le chœur, je voyais le marié s’agiter avec impatience, se tourner vers l’orgue d’un air furieux et menaçant ; enfin, perdant patience, il appelle le suisse qui, sur son intimation, me détache un enfant de chœur chargé de me rappeler que je ne touche pas un Requiem, mais une messe de mariée.

— Ah ! tu veux du jovial, me dis-je, monsieur le triom-