Aller au contenu

Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

» L’autre jour, je l’engageais à bien peser la moralité de ses moyens de vengeance.

— » Avez-vous besoin de me recommander cela, me dit-il avec émotion, ne voyez-vous pas que la paternité est pour moi une autre vie ; que je suis un homme refait à neuf, et que je ne voudrais pas maintenant risquer une chose qui ne dût pas avoir l’approbation de mon fils ? Mais pour le défendre, ce cher enfant, je ne regarderai à rien, tout me paraîtra légitime ; je serai un tigre, et leur mangerai à tous les entrailles.

» Je lui fis remarquer qu’il y avait dans ce qu’il me disait là quelque chose d’un peu contradictoire, et que vous ne vouliez pas être protégé par des moyens que n’avouât pas la probité la plus exacte, et qu’enfin, vous n’aviez aucun empressement à être le fils d’un tigre.

» — Danton, son grand-père, me répondit-il, leur eût fait couper à tous la tête ; ils en seront quittes avec moi à meilleur marché ; mais ils seront à genoux devant celui dont ils ont médité la ruine. S’attaquer à mon fils ! Ah ! les imprudents, ils ne savaient guère ce qu’ils faisaient ; et se servir de moi comme l’instrument de sa ruine !

» La vérité est que son titre de père semble avoir transfiguré cet homme. Il y a en lui des élans de tendresse et un dévoûment passionné qui font qu’on ne peut lui refuser son intérêt. C’était incontestablement une grande intelligence et une volonté puissante qui, placées sur une autre pente, auraient pu aboutir au grand.

» Je n’en dirai pas autant de M. de l’Estorade : déjà il m’a pris de bien des manières pour savoir la cause de votre brusque départ qui jette évidemment du désarroi dans ses projets. Quant à Naïs, à laquelle je donne de temps à autre des leçons, vous êtes toujours son héros. Madame de l’Estorade, elle, ne m’a fait que cette seule question : Est-il vrai que son absence doive être si longue ? Puis, comme je lui répondais que vous-même ne sauriez en mesurer la durée :

» — Il faut encore, dit-elle, remercier la Providence de ce qu’on le sait vivant en quelque coin du monde, car il est de ceux qui d’ordinaire ne font que lui être montrés.

» Du reste, pas une question, pas la moindre tentative pour pénétrer ce qu’elle sent être un grave mystère. Là