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Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/14

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facile qu’il avait été autrefois. Peu à peu il avait pris une manière toujours irritée de vouloir les choses et souffrait à peine l’ombre de la contradiction.

— Ne disputons pas, dit madame de l’Estorade, M. de Sallenauve est reçu ici ; je ferai de mon mieux pour qu’il trouve son plaisir à y venir souvent ; quant à la négociation elle-même, vous vous en acquitterez beaucoup mieux que moi, et je vous laisse le soin de la conduire.

On se rappelle que, de son côté, Sallenauve s’était promis de se laisser doucement aller au courant, d’ailleurs médiocrement impétueux, qui l’entraînait vers madame de l’Estorade. Accueilli avec plaisir et empressement, il devint bientôt intime dans la maison, ainsi donc d’elle-même la situation inclinait à devenir périlleuse. Mais en voyant notre cher député, bientôt appelé à rendre à madame de l’Estorade, dans la personne d’un de ses enfants, un nouveau et plus signalé service, on se demandera s’il était possible qu’un simple niveau de bonnes et amicales relations pût longtemps se maintenir entre eux.

Un jour, comme Sallenauve arrivait dans l’après-midi chez madame de l’Estorade, celle-ci étant absente, il fut reçu par Naïs qui vint à lui dans un grand émoi et lui dit :

— Oh ! quel bonheur que vous voilà ! j’allais envoyer Lucas à Ville-d’Avray ; il n’y a que vous qui pouvez nous sauver.

Naïs, tranchant de la maîtresse de maison, et parlant d’envoyer chez Sallenauve un exprès, lui parut d’abord quelque chose d’assez plaisant, bien que, par ses faiblesses pour sa fille, madame de l’Estorade ne rendît pas cette étrangeté tout à fait invraisemblable.

Mais il vit que la chose était sérieuse quand Naïs ajouta :

— Figurez-vous qu’Armand veut se battre en duel !…

Armand, le frère aîné de Naïs, avait quinze ans passés, mais accusait par sa taille quelques années de plus. Il était encore au collège, et, fort développé du côté de l’intelligence, comme le lecteur peut s’en souvenir, il avait beaucoup d’amour-propre et se donnait des airs d’homme. On pouvait donc donner créance à quelque coup de tête dans le genre de celui dont sa sœur lui prêtait la pensée.