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Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/13

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Quand le pair de France apprit que Sallenauve avait été mandé aux Tuileries : « c’est un homme en passe, quand il le voudra, de devenir ministre, » dit-il avec admiration à la comtesse, et, dès-lors démasquant son plan de captation, il engagea madame de l’Estorade à joindre ses enlacements personnels au travail souterrain que lui-même avait déjà commencé, en vue du mariage dont il caressait la pensée.

— Mais, répondit madame de l’Estorade, sans parler des objections directes qu’il pourrait y avoir à faire contre ce projet…

— Quelles objections ? interrompit vivement M. de l’Estorade ; l’âge, n’est-ce pas ? comme si vous aviez été si malheureuse d’avoir épousé un homme moins jeune que vous !

— Je ne dis pas cela, repartit madame de l’Estorade, qui savait combien ce sujet était délicat à traiter avec son mari, mais nous ignorons les dispositions de M. de Sallenauve, et si votre projet ne lui agréait pas, ne voyez-vous pas, comme déjà je vous l’ai dit, dans une autre occasion, un grand danger à laisser Naïs se passionner pour un résultat qui en fin de cause ne devrait pas se réaliser ?

— D’ici, répondit le pair de France, à ce que les impressions et les volontés de Naïs puissent compter pour quelque chose, nous saurons à quoi nous en tenir sur le parti pris du prétendu.

— Et, en attendant, objecta la comtesse, nous serons obligés de le recevoir dans la maison sur un pied de complète intimité ; pensez donc : si la visée qui vous avait mis en froid avec lui venait à se reproduire !

— C’est un ridicule que vous voulez me donner, dit avec humeur l’irascible mari, vous savez bien que j’ai en vous la confiance la plus absolue.

— Mais ce n’était pas vous qui étiez ridicule, c’était votre affection hépatique qui vous faisait attacher de l’importance à la lettre d’un fou.

— Allons ! maintenant, prenez plaisir à me rappeler ce malheureux entraînement d’esprit ! dit M. de l’Estorade avec amertume.

Malgré l’amélioration survenue dans sa santé, on peut voir qu’il n’était plus ce mari d’humeur complaisante et