Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/151

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» — Que signifie tout cela ?

» — Madame, que je ne connaissais que de réputation, répondit le ministre, m’a écrit sous son nom de rechange, me priant de passer chez elle pour m’entretenir de M. de Sallenauve. Quant à monsieur, que je connais très bien, c’est en effet M. Saint-Estève, le célèbre chef de la police de sûreté.

» — Alors, dit insolemment M. de Trailles, nous sommes au moins dans une maison sûre, si nous ne sommes pas dans la compagnie la plus excellente qui se puisse désirer.

» — Dans tous les cas, pour vous rassurer, il y a ici un homme très honorable, répondit Saint-Estève en me désignant ; j’ajouterai même qu’il n’y a ici de complètement honorable que lui.

» — Monsieur Saint-Estève, dit Rastignac avec un sang-froid de très bon goût, si les communications que vous avez à nous faire vous donnent le droit d’impertinence, veuillez au moins vous rappeler que nous sommes vos hôtes.

» — C’est juste, monsieur le ministre, et l’outrecuidance de ce gentilhomme m’a fait manquer au plus saint des devoirs, qui n’est pas l’insurrection, comme on l’a dit, mais l’hospitalité. Veuillez donc, messieurs, prendre place, et, à la suite de cette petite ouverture où les instruments ne se sont pas trouvés parfaitement d’accord, le spectacle va commencer.

» Après qu’on se fut assis :

» — Mon cher monsieur Jacques Bricheteau, me dit Saint-Estève en s’adressant à moi, il y a un an, à peu près, des papiers secrets furent enlevés de votre domicile, et, par suite d’un complot très habilement ourdi et dont je fus le naïf instrument, ces papiers passèrent aux mains de M. le comte de Rastignac, devant lequel j’ai l’honneur de parler. Maître de ces documents, M. le ministre put avoir la prétention de faire des conditions à un homme éminent que, vous et moi, portons dans notre cœur, et la carrière de cet homme fut brisée. Je n’entre pas dans la question de savoir si la manière dont on s’était procuré l’arme dont on le frappait n’avait pas quelque chose d’un peu risqué. Je veux admettre que la politique est une par-