» En faisant tout à l’heure à madame de l’Estorade mon compliment de condoléance, je l’engagerai à se départir sur ce chapitre de son indulgence accoutumée pour les petits travers de ses enfants, et, en somme, je lui conseillerai de prendre, d’une main autrement vigoureuse qu’elle ne l’a eue jusqu’ici, le gouvernail de sa famille. En même temps que les objets de son admiration grandissent et que bientôt ils auront leur volonté en propre, la voilà destituée du viril concours de la puissance paternelle, qui sait toujours mieux se faire respecter et obéir, et qu’elle y prenne garde ; les enfants qu’on a follement mignotés, une fois l’âge de l’émancipation venu, sont plutôt disposés à devenir des tyrans incommodes que des cœurs dévoués et reconnaissants. Ce résultat est tout à fait dans la loi de justice providentielle, qui veut qu’à toute débauche soit attachée sa punition inévitable. L’enivrement maternel, quelque belle que soit l’apparence de cet excès, n’en est pas moins un désordre, et il faut que les femmes qui s’y laissent entraîner se persuadent bien une vérité : c’est qu’il est plus facile et moins méritoire d’aimer ses enfants par de-là la raison que de les aimer sagement et avec mesure ; au fond, il y a une sorte de lâcheté à se laisser aller à la remorque de toutes leurs fantaisies et de tous leurs petits appétits dépravés, quand, au contraire, on a le devoir de lutter avec énergie contre le courant de tous leurs mauvais instincts.
» Je le crois comme vous, cher ami, après la scène dont vous m’avez si merveilleusement fait témoin, M. de Rastignac et M. de Trailles ne seront pas très empressés à recommencer avec nous la lutte ; et les cruelles et poignantes morsures que leur a infligées le terrible dogue qui s’est dévoué à ma garde leur laisseront des souvenirs assez vifs pour que je puisse maintenant reparaître en France avec sécurité. J’ai bien aimé cette confiance un peu imprudente que M. Saint-Estève a témoignée à nos ennemis, et vous avez raison, il y a un fonds de grandeur dans cet homme, dont d’ailleurs l’intelligence est véritablement supérieure ; mais j’aurai néanmoins de la peine à me faire à l’idée d’être le fils d’un tel père, et peut-être vaudrait-il mieux, pour lui comme pour moi, que nous restassions toujours à distance. Je ne sais rien dire en-