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Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/17

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près du garçon qui, à lui seul, desservait tout l’établissement, il s’enquit de M. Bélisaire.

— Monsieur Bélisaire ! cria cet homme occupé à essuyer des verres à liqueur et des petites cuillères avec un torchon crasseux, il y a quelqu’un qui vous demande.

Sallenauve vit alors venir à lui un petit homme trapu, très haut monté en couleur, les cheveux coupés ras et portant toute sa barbe, qu’en effet il avait d’un rouge ardent. Il était en manches de chemise et tenait à la main une queue de billard. Ayant à représenter le dieu du doublé et du carambolage, l’imagination d’un peintre ne l’eût pas inventé autrement.

— Monsieur, lui dit Sallenauve, vous avez eu tantôt une querelle avec un jeune collégien ?

— Oui, m’sieur ; vous êtes le papa, peut-être ?

— Je suis l’ami de sa famille.

— Au fait, vous n’avez pas assez d’âge pour lui avoir donné le jour ; il est rageur, votre petit !

— Vous avez été avec lui d’une grande brutalité, et vous comprenez que les choses ne peuvent se passer de la manière que vous les avez arrangées ; vous ne sauriez vous battre contre un enfant.

— Oh ! j’y tiens pas, il a été corrigé ; on peut lui donner quittance.

— Oui ; mais nous voulons quelque chose de moins sec. Vous avez eu un tort grave, et vous le reconnaîtrez.

— Des excuses à ce bambin ! Ah ben ! parlons-en ! Ça serait drôle.

— Veuillez pourtant remarquer que vous êtes placé dans cette alternative : ou regretter votre violence, ce qui n’est pas faire des excuses, ou commettre un assassinat.

— J’aime mieux l’assassinat : tous les goûts sont dans la nature.

— Alors, c’est donc à moi que vous aurez affaire.

— À votre aise, mon prince ; je ne quitte pas d’ici : vous pouvez m’envoyer vos témoins.

— Je ne vous enverrai pas de témoins ; je ne sais qui vous êtes, et tout dans votre allure semble démontrer que je ne me fais pas un très grand honneur en me mesurant avec vous.

— Voyez-vous ça ! Monsieur prend des airs. T’es sans