Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doute l’amant de la mère pour venir faire ici ton Don Quichotte !

À cette parole, un soufflet retentissant tomba sur la joue du soudard, qui se jeta comme un furieux sur Sallenauve ; mais on se rappelle que, dès le collège, celui-ci annonçait un homme plein de vigueur. Pris à la gorge par une main de fer, le maquignon fut bientôt cloué à la muraille, et, sous la terrible étreinte qui lui ôtait presque la respiration il se trouva dans l’impossibilité de faire aucun mouvement.

Quand Sallenauve eut lâché prise, pendant que son homme, ainsi dompté, reprenait haleine, il tira de son portefeuille une carte :

— Voilà, dit-il, mon nom et ma demeure ; demain jusqu’à deux heures je serai chez moi avec un de mes amis ; dans les bois qui entourent ma maison, nous trouverons facilement une place : vous pouvez venir accompagné de qui vous voudrez, et je vous donnerai plus de satisfaction que vous n’en méritez.

Avec son haleine, le maquignon avait repris toute son insolence :

— Tiens, dit-il après avoir jeté les yeux sur la carte de Sallenauve, ça manquait à mon cabinet d’anatomie, un député ; je n’ai pas encore tué de député. On y sera, monsieur l’élu du peuple.

— Vous êtes trop fanfaron pour être brave, répondit Sallenauve avec mépris. Apportez vos pistolets, j’aurai les miens.

Et sans plus d’explications, il sortit de l’estaminet.

Il n’avait pas fait quarante pas qu’il fut rejoint par le maître de l’établissement.

— Monsieur, lui dit cet homme, ma femme et moi, voyons avec peine que vous soyez décidé à faire à ce Bélisaire l’honneur de vous battre avec lui. Tout porte à croire que c’est un repris de justice.

— Comment, sachant cela, demanda Sallenauve, le recevez-vous chez vous ?

— Parce que nous sommes obligés de recevoir toute sorte de monde : ensuite il a une grosse note, et puis, entre nous, dame ! j’en ai peur, c’est un si méchant homme ! Si on s’était trompé dans la confidence que l’on m’a faite,